© Sarah Bouillaud

Réinventer les parcours professionnels

par Nathalie Quéruel et François Desriaux / octobre 2019

S'il est un sujet qui reflète pleinement le titre de notre magazine, c'est bien celui des itinéraires professionnels, tant ils résultent d'un mariage forcé entre état de santé et conditions de travail. Démêler l'écheveau de ces interactions complexes se révèle indispensable pour appréhender la prévention de façon plus pertinente.

D'un côté, les portes se ferment pour les personnes en mauvaise santé, qui, plus souvent que les autres, sont assignées à des parcours chaotiques et occupent les postes du bas de l'échelle. De l'autre, la pénibilité de l'activité et la précarité de l'emploi usent les corps et les esprits. Maladies et accidents causés par le travail entraînent de telles ruptures dans la vie professionnelle qu'il est souvent difficile de revenir dans la course.

C'est donc avant l'irréparable qu'il convient d'agir. D'abord en prenant en compte les potentialités de l'organisation du travail : lorsque celle-ci facilite la coopération entre les salariés, des compromis peuvent s'élaborer qui permettent le maintien en poste. Puis en considérant que préserver la santé au travail s'inscrit dans un temps d'autant plus long que l'âge de la retraite ne cesse de reculer. Cela signifie concevoir non seulement un travail durable, mais aussi des formations capables de donner réalité à des parcours professionnels variés.

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Miser sur des formations adaptées à l'âge

par Catherine Delgoulet professeure d'ergonomie, directrice du Centre de recherche sur l'expérience, l'âge et les populations au travail (Creapt) / octobre 2019

Pour permettre aux salariés âgés de faire face à l'allongement de la durée des carrières et aux mutations du travail, la formation professionnelle doit encore opérer sa mue. Et répondre aux enjeux de santé et de performance au travail.

Le marché de l'emploi a changé, entraînant des parcours professionnels plus heurtés, avec des périodes de chômage, des changements de métier, des réorientations pour composer avec la pénibilité au travail ou l'inaptitude à un poste. Ces transformations majeures n'ont pourtant pas eu raison des inégalités d'accès à la formation. Plus les salariés avancent en âge, moins ils y ont recours. Des disparités existent aussi entre catégories socioprofessionnelles : l'opportunité de se former dans l'année est bien plus élevée pour un cadre de plus de 50 ans que pour un ouvrier en début de carrière.

Voilà donc un paradoxe qui perdure avec, d'un côté, l'injonction de se former tout au long de la vie pour anticiper ou accompagner les mutations du travail et, de l'autre, un système discriminatoire pour les seniors et les moins qualifiés. Et ce, malgré les réformes successives qui ont actionné plusieurs leviers - simplification des démarches, information des actifs sur leurs droits, incitation des employeurs à former leurs salariés âgés - et renforcé la responsabilisation des personnes concernant leurs projets professionnels et leur parcours.

De toute évidence, le compte n'y est pas. Il faudrait maintenant penser différemment le contenu et les conditions de la formation - notamment parce que les plus âgés n'apprennent pas comme les jeunes - selon que celle-ci est imposée ou volontaire, programmée ou inopinée. Plusieurs éléments seraient à considérer dès la conception des dispositifs. Il apparaît nécessaire d'intégrer les expériences de travail, en impliquant les salariés dans le projet de formation et en construisant des liens avec l'activité réelle de travail, avec des méthodes pédagogiques participatives.

De même, préparer le retour en poste, avec des temps d'appropriation et de l'accompagnement, serait bénéfique. Car les formations mal conçues peuvent conduire à un échec dans les apprentissages, générant un sentiment d'incompétence au travail. Ce qui, d'une part, provoque parfois un abandon de poste ou une rupture d'emploi et, d'autre part, contribue à une fragilisation de la santé, notamment mentale, avec des risques de dépression.

Une étude récente, menée dans un centre d'appels (voir "A lire"), montre toute la complexité du processus. Malgré une politique volontariste d'embauche et de formation de personnes de plus de 50 ans, l'entreprise peine à former les plus âgés. Ces derniers vivent difficilement les campagnes successives de formation, qui épousent le rythme soutenu des modifications dans les produits et les services à placer auprès des clients. Ils se montrent davantage proactifs si le programme à suivre ne vise qu'un ajustement de leurs compétences.

Contraints à l'évitement

Dans le cas contraire, certains se soustraient à la formation - qui est pourtant obligatoire -, soit en négociant avec la hiérarchie la possibilité de se spécialiser sur un type d'activité plus stable, soit en s'absentant de l'entreprise pour échapper aux sessions programmées. Si ces stratégies leur permettent de tenir dans l'immédiat au travail, elles engendrent, à terme, des problèmes de santé - anxiété, troubles de l'humeur, dépression - et d'emploi - rupture de contrat, départ anticipé.

Avec l'allongement des carrières et l'évolution des modèles d'organisation du travail, l'enjeu est bien de construire les formations afin qu'elles contribuent de manière pérenne au développement des compétences des salariés, quel que soit leur âge. Pour tenir conjointement les enjeux de santé et de performance au travail.

En savoir plus
  • Les multiples facettes de la formation professionnelle des salariés âgés : des questions anciennes dans un contexte renouvelé, par D. Cau-Bareille, A. Jolivet, J. Thébault, C. Tuchszirer, L. Oumeddour, C. Delgoulet, C. Vidal-Gomel, V. Boccara et C. Gaudart, rapport final, convention de recherche Creapt-Dares, 2018.