Une mission sur le burn-out en forme d'impasse ?

par Joëlle Maraschin / octobre 2016

En choisissant le concept flou de burn-out pour réfléchir à la prise en charge des atteintes psychiques liées au travail, la mission parlementaire sur l'épuisement professionnel se serait trompée de cible, selon certains acteurs.

Notre objectif est de définir et de mesurer autant que faire se peut l'épuisement professionnel, de sérier la réalité du phénomène", explique Gérard Sebaoun, député socialiste (Val-d'Oise), médecin du travail et initiateur de la première mission parlementaire sur le burn-out. Cette mission d'information, dont il est le rapporteur, devrait formuler d'ici la fin de l'année des préconisations concernant la prise en charge du syndrome d'épuisement professionnel.

Présidée par Yves Censi, député Les Républicains (Aveyron), elle a commencé ses auditions début juillet par une table ronde avec les associations de victimes. Depuis, des chercheurs, experts et médecins ont été entendus.

Aujourd'hui, le burn-out et plus généralement les atteintes psychiques liées au travail ne figurent dans aucun tableau de maladies professionnelles. Les victimes qui souhaitent faire reconnaître l'origine professionnelle de leurs troubles doivent saisir les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP). Or elles ne peuvent le faire que si leur pathologie s'est traduite, après consolidation, par un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) d'au moins 25 %. Un taux difficilement atteignable dans le cas de troubles psychiques. Une fois cet obstacle franchi, les victimes doivent apporter la preuve d'un "lien direct et essentiel" entre leur pathologie et leur travail, car elles ne bénéficient pas de la présomption d'imputabilité liée aux tableaux. Une démarche compliquée et incertaine. Le nombre de psychopathologies professionnelles reconnues reste ainsi marginal : seulement 239 en 2014.

Davantage de troubles psychiques

"Cette situation est inacceptable. Il faut aller plus loin en termes de reconnaissance et de réparation des psychopathologies professionnelles", a soutenu lors de son audition Patrick Légeron, psychiatre, fondateur du cabinet de conseil Stimulus et coauteur d'un récent rapport de l'Académie de médecine sur le burn-out. Les cliniciens en santé mentale au travail observent en effet depuis plusieurs années une montée en charge des décompensations psychiques en lien avec le travail. D'après le dernier rapport d'activité du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), les affections psychiques sont aujourd'hui devenues le premier motif de recours aux soins dans les 32 centres de consultation de pathologies professionnelles, devançant même les troubles musculo-squelettiques (TMS).

Pour autant, les moyens d'améliorer la reconnaissance des psychopathologies liées au travail font débat. Gérard Sebaoun s'interroge ainsi sur la solution qui consisterait à faire sauter le verrou de l'IPP à 25 %. "C'est problématique, car ce verrou devrait être alors levé pour d'autres pathologies. Cela pourrait avoir des impacts que je ne connais pas", précise-t-il. Surtout, le fait d'avoir choisi le burn-out comme porte d'entrée de la discussion pose question. Non-signataire de la proposition de loi de Benoît Hamon visant à en faciliter la reconnaissance, Gérard Sebaoun dit en outre être d'accord avec les conclusions critiques du rapport de l'Académie de médecine concernant ce syndrome. Selon l'Académie, le burn-out, largement médiatisé, reste "un concept flou, absent des nosologies psychiatriques", et ne peut constituer en l'état un diagnostic médical.

D'autres experts ont aussi constaté la banalisation du concept, dans lequel s'engouffrent aujourd'hui la majorité des plaintes des salariés. "Le burn-out est en train de devenir un concept poubelle qui efface les autres pathologies psychiques en lien avec le travail", a déploré Marie Pezé, psychologue spécialiste de la souffrance au travail auditionnée par la mission. Au risque de faire l'économie d'une véritable réflexion concernant les effets délétères des organisations du travail sur la santé mentale des salariés. "Le burn-out n'est pas une maladie, c'est une situation risquée sur le plan de la santé mentale", rappelle Philippe Davezies, chercheur en médecine et santé au travail. Ce syndrome, à l'instar d'autres situations de souffrance au travail, peut cependant conduire à de véritables pathologies psychiques.

Le choix du burn-out comme objet de la mission parlementaire inquiète aussi certaines associations de victimes. "En surfant sur la vague médiatique du burn-out, cette mission parlementaire risque une fois de plus d'occulter la question des pathologies psychiques engendrées par le travail. Nous craignons que la mission ne se focalise sur la seule reconnaissance du burn-out, qui plus est réduit à l'épuisement professionnel, ce qui serait très loin de représenter l'ensemble des pathologies concernées", estime Michel Lallier, président de l'Association d'aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnels (ASD-Pro), laquelle milite pour la création de tableaux de maladies professionnelles psychiques.

Or, sur ce point, des études ont déjà été menées. En 2012, un groupe de travail du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct) a défini les atteintes psychiques susceptibles d'être liées au travail, afin d'en améliorer la reconnaissance par les C2RMP. Son rapport proposait de retenir trois psychopathologies : la dépression, l'anxiété généralisée et les états de stress post-traumatique. Le burn-out n'y figurait pas.

"On connaît les facteurs de risques"

Interrogé sur la question, Gérard Sebaoun évoque la difficulté de faire un tableau, pointant la nécessité d'établir une liste indicative de travaux pathogènes. "On connaît pourtant les facteurs de risques psychosociaux", rétorque Michel Lallier, indiquant qu'ils ont été identifiés dans le rapport remis en 2011 par le collège d'expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail, animé par Michel Gollac. C'est aussi l'avis de Marie Pascual, médecin du travail et représentante CFDT au Coct, pour laquelle le rapport Gollac reste la référence en la matière. "A défaut d'un tableau, dont le patronat ne veut pas, on peut attendre de cette mission qu'elle propose de diminuer le seuil des 25 % d'IPP", suggère-t-elle. "J'espère que cette mission proposera au moins un tableau sur le burn-out, car ce serait un cheval de Troie pour aller vers la présomption d'imputabilité pour les maladies psychiques", déclare de son côté Alain Carré, médecin du travail et représentant syndical CGT au Coct.

Pour les associations de victimes, la réparation des atteintes psychiques liées au travail au titre des maladies professionnelles inciterait les entreprises à faire de la prévention, car sinon elles en supporteraient le coût. Par ailleurs, cela permettrait de mettre en visibilité le risque dans l'entreprise, facilitant l'intervention du CHSCT. Enfin, les victimes seraient mieux protégées, notamment en termes de maintien dans l'emploi. "Mais si les recommandations de la mission se limitent à l'épuisement professionnel, le patronat n'aura aucune difficulté à faire barrage, au motif que le burn-out n'est pas une maladie", craint Michel Lallier.

En savoir plus
  • Les informations relatives à la mission d'information sur l'épuisement professionnel sont disponibles sur le site de l'Assemblée nationale : www2.assemblee-nationale.fr. Les auditions ont fait l'objet de retranscriptions vidéos, disponibles sur http://videos.assemblee-nationale.fr.