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On a toujours besoin d'un CHSCT

par François Desriaux / avril 2015

Pour une fois, la décision de notre comité de rédaction a été unanime. Face aux menaces pesant sur le devenir du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) après la négociation sur la modernisation du dialogue social et avant la future loi sur ce thème, notre magazine a jugé nécessaire d'intervenir dans le débat.

L'enjeu est fort. Le risque existe que le texte qui sortira du Parlement amoindrisse sérieusement la capacité des représentants du personnel à jouer pleinement leur rôle dans l'amélioration des conditions de travail et la prévention des risques professionnels.

De la même façon que la rationalisation des tâches dans les entreprises et les administrations appauvrit le travail, nous craignons que la rationalisation du dialogue social n'appauvrisse celui-ci. Précisément sur les questions du travail, de son contenu et de son organisation. Au-delà des considérations matérielles - nombre d'élus et d'heures de délégation, capacités judiciaires et d'expertise - qui polariseront le débat, nous avons tenu à démontrer ici que la complexité du sujet "santé au travail" et la nécessité d'adapter la prévention au travail réel justifient à elles seules le maintien d'un lieu de dialogue social spécifique.

En Europe, la prévention passe par les élus du personnel

par Laurent Vogel chercheur à l'Institut syndical européen / avril 2015

Dans la plupart des pays européens, les questions de santé et de sécurité au travail font l'objet d'une représentation spécifique du personnel, selon des schémas variables mais avec le même constat : il s'agit d'un atout pour la prévention.

Bien souvent, la prévention des risques professionnels est organisée de façon routinière. Elle se concentre sur un petit nombre d'indicateurs, par exemple le nombre d'accidents du travail. Elle tend à fragmenter les risques, perçus comme des dysfonctionnements techniques, voire comme des écarts de conduite individuels. De nombreuses enquêtes menées en Europe montrent que l'existence d'une représentation dynamique des travailleurs permet de passer de cette approche formelle et technicienne à un véritable débat social autour de l'organisation du travail.

Historiquement, la représentation des travailleurs pour la sécurité a été la première forme de contre-pouvoir face à la gestion patronale. Dès 1872, des délégués ouvriers avec des pouvoirs d'inspecteur sont apparus dans les mines anglaises. Cet exemple a constitué une revendication syndicale dans les autres pays d'Europe. Il subsiste encore en Pologne des "inspecteurs sociaux", nommés par les syndicats et chargés de vérifier la santé et la sécurité dans les entreprises.

Délégation unique dans trois pays

Aujourd'hui, dans les différents pays européens, la représentation des travailleurs pour la prévention se réalise suivant des modalités variables. Dans la majorité des cas, on trouve des organes paritaires comparables aux CHSCT français, en plus des organes généralistes de représentation. Il en est ainsi dans les pays nordiques, en Belgique, en Grèce et dans la plupart des pays d'Europe centrale et orientale. Dans d'autres pays, Espagne, Italie et Royaume-Uni notamment, il existe des délégués pour la prévention. Certains pays combinent ces deux types d'institutions. Dans ce cas, les seuils requis pour disposer de délégués de prévention sont plus bas que ceux qui permettent la formation d'un comité paritaire. Le seuil le plus courant est de 10 travailleurs, tandis que celui pour disposer d'un comité paritaire tend à s'élever à 50.

Dans quelques pays - Allemagne, Pays-Bas et Autriche -, l'accent est mis sur une représentation unique. Le conseil d'entreprise a pour vocation de représenter les travailleurs pour l'ensemble des questions que pose la vie de l'entreprise. Il peut y avoir des commissions spécialisées sur la santé et la sécurité, qui ne jouent qu'un rôle limité d'appui technique. En Allemagne et en Autriche, les travailleurs membres de ces commissions spécialisées sont choisis par l'employeur. Leur nomination est cependant soumise à un droit de veto du conseil d'entreprise. Aux Pays-Bas, c'est ce dernier qui les désigne.

Le cas britannique est exceptionnel : seule la représentation en santé et sécurité est imposée par la législation dans les entreprises où l'employeur reconnaît un syndicat. Les autres formes de représentation - délégués syndicauxcomité d'entreprise, etc. - dépendent d'un accord volontaire, c'est-à-dire, en dernière analyse, du rapport de force entre les travailleurs organisés et l'entreprise.

Des questions techniques

En matière de prévention, les stratégies syndicales ont au moins autant d'importance que les structures. Cependant, les systèmes de représentation unique sont souvent associés à une perception syndicale de la santé et de la sécurité comme des questions techniques, qui peuvent être déléguées à des spécialistes. Et les instances générales de représentation tendent à limiter leur rôle sur ces questions à un contrôle du respect de la loi, sans prendre d'initiatives de mobilisation sur l'organisation du travail.

L'intervention des représentants des travailleurs sur les conditions de travail se fait via leur consultation. L'employeur les informe de ses projets. Il doit leur donner la possibilité de réagir et de formuler des alternatives. Il lui faut ensuite justifier sa décision finale. Dans la pratique, la consultation se situe dans un vaste spectre. Elle peut être purement formelle, sans déboucher sur un véritable débat social. Ailleurs, la stratégie des élus permet d'articuler possibilités légales et mobilisations collectives, de façon à établir un contrôle sur des aspects de l'évolution du travail. Les situations intermédiaires entre ces deux pôles sont les plus courantes.

Dans quelques pays, des dispositions législatives confèrent à la représentation du personnel des droits plus étendus. En Belgique, les représentants des salariés peuvent ainsi faire écarter un conseiller en prévention d'un service externe s'il a perdu la confiance des travailleurs. A l'origine, en 1977, cette disposition ne concernait que les médecins du travail. Elle a été étendue en 1996 à l'ensemble des spécialistes de la prévention d'un service externe. Dans les pays scandinaves, le droit d'arrêter le travail en cas de danger grave et imminent peut être mis en oeuvre de façon collective par les délégués pour la sécurité.

Le problème des seuils

De nombreux travailleurs, notamment dans les petites entreprises, sont encore exclus de toute forme de représentation concernant la santé au travail. Dans la grande majorité des pays européens, il existe en effet des seuils en dessous desquels aucune représentation n'est prévue. Ils sont variables : de 5 travailleurs (pays scandinaves, Allemagne) à 50 (France, Grèce, Belgique, Bulgarie, Hongrie). D'autres salariés ne sont pas représentés du fait de leur statut d'emploi. Les travailleurs intérimaires sont souvent soumis à des risques aggravés sans disposer de représentants pour la sécurité.

A cet égard, l'institution d'une représentation territoriale permet de mieux couvrir les petites et moyennes entreprises. En Suède, environ 2 000 délégués régionaux pour la sécurité interviennent sur une base sectorielle dans plus de 350 000 entreprises. Ce système, initié par des conventions collectives dès 1949, a été étendu par une loi à l'ensemble des secteurs en 1974. En Italie, un système similaire est en place dans certains secteurs. En Espagne, des conventions collectives prévoient des représentants syndicaux pour la sécurité dans des "polygones industriels", qui couvrent différentes entreprises ainsi que leurs sous-traitants.

Enfin, l'effectivité du droit est variable. Même dans les entreprises où la législation prévoit une représentation, celle-ci peut ne pas exister. L'enquête européenne sur les conditions de travail, dans son édition 2010, indique ainsi que 52 % des travailleurs disposent d'une forme quelconque de représentation (spécifique pour la prévention ou autre). Les pourcentages varient énormément d'un pays à l'autre. En Finlande, en Suède et en Norvège, plus de 85 % des travailleurs disposent d'une représentation, contre moins de 25 % au Portugal. La France se situe près de la moyenne européenne.

Contrairement à ce qu'affirme le patronat, il n'y a donc aucun excès de démocratie dans les entreprises hexagonales ! Quant à l'existence d'instances représentatives spécifiques sur les conditions de travail, elle correspond à un besoin réel : disposer d'un lieu de confrontation sur l'organisation du travail et permettre aux salariés d'avoir une influence sur cet aspect déterminant de leur vie quotidienne.