© Gérard Monico/FNMF

Le destin précaire des jeunes travailleurs

par François Desriaux / juillet 2013

Pour tenter de se faire une place au soleil, les jeunes doivent enchaîner petits boulots et intérim, ou obtenir de haute lutte un stage aussi précieux que peu rémunéré, avant d'avoir peut-être, un jour, l'immense privilège de décrocher un contrat à durée déterminée.

C'est sûr que ce parcours initiatique calme les ardeurs revendicatives des candidats à l'emploi et les conditionne très jeunes aux exigences des entreprises : un engagement personnel "corps et âme". Parfois au prix d'une usure prématurée.

Passe encore si ce chemin de croix permettait d'accéder à un emploi stable. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas. Le chômage des jeunes est un fléau. Mais, pour beaucoup d'entre eux, le travail aussi - surtout s'ils ne sont pas diplômés. Aux échecs et aux inégalités scolaires vont succéder des emplois précaires, des conditions de travail plus pénibles et plus éprouvantes pour la santé. Si, de surcroît, celle-ci a été malmenée par des conditions de vie difficiles, il y a peu de chances que le travail joue un rôle bénéfique d'intégration.

McDo : un engagement paradoxal dans le travail

par Damien Cartron sociologue / juillet 2013

Les jeunes équipiers de McDonald's s'investissent beaucoup dans leur travail, alors que les conditions de ce dernier sont dures. Un engagement qui tient en partie au fait qu'ils ne considèrent pas cette activité comme un "vrai travail".

Dans les restaurants McDonald's, les jeunes équipiers ne s'économisent pas. Certes, il y a un taux de départ élevé dès le premier jour de travail. D'autres partent dans la semaine qui suit. Mais une fois qu'ils ont accepté de rester, les équipiers font montre d'un engagement important dans leur activité. C'est ce qui ressort d'un travail d'observation participante de trois mois, mené il y a quelques années1

Pourtant, les conditions de rémunération de ces emplois sont peu incitatives : aucune prime de productivité, travail compté de nuit à partir de 2 heures du matin, jours fériés et dimanches payés comme des jours de semaine, heures complémentaires rémunérées sans supplément... Et les conditions de travail sont dures, notamment en cuisine, avec une forte intensité du travail. Comment donc expliquer l'engagement constaté ?

La réponse se situe sans doute du côté des caractéristiques de la population. Les équipiers des McDonald's observés sont très majoritairement des lycéens et étudiants, âgés de 18 à 25 ans, le plus souvent au début d'un cursus universitaire, qui financent leurs études ou aident leurs parents à le faire. Ils sont inscrits dans les filières les moins prestigieuses de l'université, notamment en sciences humaines, et vivent une forte incertitude face à leur avenir.

Ces jeunes refusent néanmoins de considérer leur emploi à McDonald's comme "leur" travail : c'est juste un petit boulot purement utilitaire qui leur permet de financer leurs études. Cela se perçoit dans leur refus de s'engager dans la critique de l'organisation du travail. Critiquer celle-ci reviendrait à accepter qu'il s'agit bien d'un travail. Pourtant, lorsqu'on les observe travailler, notamment en cuisine, on voit des salariés très investis, cherchant à réaliser le meilleur d'eux-mêmes dans cette activité.

Les satisfactions du travail en équipe

Cet engagement paradoxal s'explique en partie par la jeunesse des équipiers, leur faible expérience professionnelle, ce qui permet à McDonald's d'imposer certaines contraintes, comme de demander l'autorisation de quitter son poste alors que l'heure de fin de service est passée depuis longtemps. L'organisation du travail en flux tendu joue également un rôle, les contraintes se transmettant d'un salarié à l'autre, dans un contexte où de nombreuses relations personnelles unissent les équipiers. Ceux qui sont en cuisine savent par exemple que si un produit vient à manquer en caisse, un "copain" subira les foudres d'un client mécontent.

Mais cet engagement s'explique aussi par les satisfactions que procure ce travail en équipe, entre jeunes, avec des réussites immédiates et récurrentes, comme parvenir à tenir un nouveau poste ou avoir surmonté la pression d'un rush exceptionnellement long. Des satisfactions parfois supérieures à celles procurées par des études universitaires, où les objectifs sont moins clairement définis, les sanctions - positives comme négatives - beaucoup moins fréquentes, et où le travail en équipe ou en collaboration est quasiment inexistant.

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    Cet article s'inspire très largement d'un article rédigé avec les sociologues Guillaume Burnod et Vanessa Pinto. "Etudiants en fast-food. Usages d'un petit boulot", par G. Burnod, D. Cartron et V. Pinto, Travail et Emploi n° 83, juillet 2000.