© Emilie Seto

Ne plus rogner sur la maintenance

par François Desriaux Stéphane Vincent / juillet 2018

A force de se recentrer sur leur coeur de métier, de rationaliser les activités périphériques, voire de les sous-traiter, les entreprises ont perdu de vue qu'il fallait "bichonner" la maintenance. Dans le monde d'avant, quand techniciens et ingénieurs tenaient le haut du pavé, prendre soin des machines et des systèmes était inscrit dans les gènes. Aujourd'hui, avec la montée en puissance des gestionnaires et des financiers, la logique s'est inversée. Réduire la maintenance préventive - qui coûte cher car elle immobilise les équipements - permet d'augmenter le taux de rendement global.
Tant pis s'il s'agit d'économies de court terme, qui vont générer des pannes et une moindre qualité des produits ou des services. Nos enquêtes à la SNCF et dans le secteur informatique en témoignent. Sans parler des conséquences potentiellement graves dans les industries à risque. Tant pis aussi pour les conditions de travail et les risques professionnels. Aussi bien pour les techniciens de maintenance, qui vont devoir jouer les pompiers en intervenant dans l'urgence, que pour les opérateurs en production industrielle ou servicielle contraintes de compenser les dysfonctionnements. Prendre soin de la maintenance, prévoir cette activité dès la conception, c'est aussi prendre soin du travail et de ceux qui le font.

Quand la maintenance devient stratégique

entretien avec Sandro De Gasparo, ergonome
juillet 2018

Sandro De Gasparo, ergonome et spécialiste de l'économie de la fonctionnalité et de la coopération, considère que ce modèle productif, en privilégiant la valeur d'usage des biens, permet de revaloriser et faciliter le travail des techniciens de maintenance.

En vue notamment d'assurer une plus grande durabilité aux produits, le modèle alternatif de l'économie de la fonctionnalité mise davantage sur les activités de maintenance. Permet-il pour autant d'y améliorer les conditions de travail ?

Sandro De Gasparo : L'économie de la fonctionnalité et de la coopération, ou EFC, fait en effet le pari d'une performance centrée non plus sur la vente de biens matériels et leur renouvellement permanent, mais sur leur valeur d'usage, au travers d'une intensification de la relation de service entre le fournisseur et le client. Passer de la vente d'un équipement à sa mise à disposition par un fournisseur, qui en garderait la propriété, incite l'ensemble des parties à se soucier de sa durabilité. Les activités de maintenance deviennent alors stratégiques.

Mais ce n'est pas tout. L'activité de maintenance devient aussi le moyen d'acquérir une connaissance fine des logiques d'usage des produits : fréquence, modes opératoires, difficultés rencontrées par les utilisateurs... Ces informations sont essentielles pour garantir une "performance d'usage" au bien. De telles connaissances peuvent être utilisées pour faciliter la maintenance du produit, mais aussi pour améliorer sa conception.

Les effets sur le travail sont alors doubles. Tout d'abord, la revalorisation économique de l'activité de maintenance permet de mieux l'organiser : meilleure planification des interventions préventives, allocation des temps requis pour un travail de qualité, reconnaissance des qualifications... Ensuite, l'importance prise par la connaissance des usages tend à favoriser les logiques de coopération entre les techniciens de maintenance et les utilisateurs, ou entre les premiers et les bureaux d'études de leur entreprise.

Existe-t-il des exemples positifs ?

S. D. G. : On peut citer l'entreprise Urbanéo, spécialiste du mobilier urbain. Elle était confrontée aux limites d'appels d'offres construits sur une séparation par lots entre l'achat des équipements et les prestations de maintenance. Séparation qui avait pour effet de dégrader la qualité des premiers, afin de réduire les prix, et de surcharger en conséquence les secondes, du fait de défauts de conception. Urbanéo est passée à la conception de solutions intégrant biens et services pour les collectivités : un mobilier de bonne qualité, mieux entretenu et répondant, grâce aux informations recueillies sur les usages, aux enjeux de mobilité des usagers. Le travail des agents de maintenance est facilité par la prise en compte de leur activité par les concepteurs et par une moindre dégradation par les usagers. Le sentiment d'accomplir un travail de qualité et valorisé facilite aussi le développement de l'autonomie des équipes.

Quelles sont les difficultés rencontrées ?

S. D. G. : Le passage à une logique économique fondée sur la valeur "servicielle" des biens implique des transformations profondes du travail. Cela ne va pas de soi. Les organisations sont bousculées par la logique de la coopération. Il faut créer des temps spécifiques pour la soutenir : retours d'expérience, discussions sur le travail... Les postures professionnelles sont aussi interpellées : comment mettre les métiers de l'ingénierie à l'écoute et au service de la maintenance ? Comment aider les techniciens à expliciter leurs connaissances acquises sur le terrain, afin d'en faire des leviers de développement pour l'activité ? L'EFC offre une perspective intéressante de revalorisation des métiers de la maintenance, mais les transformations qu'elle induit exigent un accompagnement attentif.

En savoir plus
  • Sur le modèle de l'économie de la fonctionnalité et de la coopération, ou EFC, consulter le centre de ressources proposé par l'Institut européen du même nom (IEEFC) sur son site Internet ieefc.eu