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Mieux prévenir le risque toxique

par François Desriaux / janvier 2019

Dossier après dossier sur les risques chimiques, on a l'impression que la prévention a toujours un train de retard. Comme si les catastrophes sanitaires passées, par exemple celles de l'amiante et du chlordécone, ou annoncées pour les perturbateurs endocriniens et les nanomatériaux, n'occasionnaient finalement pas de prise de conscience ou de sursaut. Aujourd'hui encore, la progression des connaissances scientifiques et de l'évaluation des risques ainsi que l'évolution des modalités d'exposition devraient imposer à la fois un cadre réglementaire plus strict et des pratiques professionnelles plus ambitieuses pour protéger les salariés. Le lobbying toujours plus sophistiqué et plus prégnant des industriels, la faiblesse des moyens des organismes de contrôle et des agences sanitaires, la pression sur l'emploi constituent autant d'obstacles à la réduction des risques. Et puis, les effets des expositions n'apparaissant souvent que des années plus tard, l'espoir des entreprises de passer entre les gouttes est toujours plus grand que la crainte de se faire attraper par la patrouille. Toutefois, s'il devient urgent de changer de modèle pour la prévention des expositions aux agents chimiques dangereux, en appliquant notamment les recommandations émises par le récent rapport Frimat1 , cela ne suffira pas. Il est nécessaire que, sans attendre ce grand soir, les acteurs de la prévention changent la donne sur le terrain, comme les y invitent les pages qui suivent.

 

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    Rapport du Pr Paul Frimat relatif "à la prévention et à la prise en compte de l'exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux".

© Nathanaël Mergui/Mutualité française
© Nathanaël Mergui/Mutualité française

2,2 millions de travailleurs encore exposés aux cancérogènes

par Martine Léonard, médecin-inspecteur du travail et membre de l'équipe Sumer / janvier 2019

L'enquête Sumer1 permet de cartographier les expositions des salariés aux principaux risques professionnels et de suivre leur évolution. Elle le fait néanmoins sur la base de populations enquêtées qui ont évolué dans le temps. Ainsi, concernant les expositions aux produits chimiques, celles-ci ont augmenté entre 1994 et 2003, puis diminué entre 2003 et 2010, mais ce constat ne vaut que pour les salariés du privé. Un tiers d'entre eux étaient toujours exposés à au moins un produit chimique en 2010.

Les salariés du privé les plus exposés restent les ouvriers qualifiés (61 % le sont), suivis des ouvriers non qualifiés (59 %). Les secteurs les plus exposants sont la construction (61 % des salariés exposés), puis l'industrie (46 %) et l'agriculture (43 %). Ces secteurs et catégories socioprofessionnelles sont aussi les plus touchés par les expositions à au moins trois produits chimiques, qui concernaient 14 % des salariés du privé en 2010.

Diesel Les données sur les expositions aux produits chimiques cancérogènes portent sur une population plus large : aux salariés du privé s'ajoutent les agents des fonctions publiques hospitalière et territoriale, et 40 % de ceux de la fonction publique d'Etat. En 2010, 10 % de ces travailleurs, soit 2,2 millions de personnes, étaient exposés à au moins l'un de ces produits. Les cancérogènes les plus cités sont, par ordre décroissant, les gaz d'échappement diesel, les huiles minérales entières, les poussières de bois et la silice cristalline.

Les ouvriers travaillant dans les secteurs de la maintenance et de la construction sont les plus concernés. C'est le cas aussi des hommes (16 % d'entre eux sont exposés contre 3 % des femmes) et des jeunes (16 % des moins de 25 ans). La taille des entreprises joue également : les TPE se distinguent avec 13,4 % de leurs salariés exposés à au moins un cancérogène. Enfin, en 2010, l'exposition à au moins trois cancérogènes chimiques concernait 1,2 % des actifs cités précédemment.

Entre 2003 et 2010, les expositions aux cancérogènes ont, elles aussi, diminué, comme leur durée et leur intensité, du moins pour les salariés du privé et les agents hospitaliers. En regard de cette évolution positive, l'enquête révèle toutefois une insuffisance des protections collectives (21 % des travailleurs exposés en bénéficient en 2010). Les résultats de l'édition 2016-2017 de l'enquête Sumer viendront compléter cette analyse, mais ils ne seront publiés que courant 2019.

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    Pour "Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels".