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Sortir de la spirale de l'inaptitude

par François Desriaux / octobre 2014

Sur le papier, le maintien dans l'emploi, notamment celui des salariés vieillissants, fait partie des priorités des entreprises, des partenaires sociaux et des politiques. On peut même parier que ce thème figurera en très bonne place dans le futur plan santé-travail, troisième du nom.

Mais dans la vraie vie, il n'en est rien. Des experts avancent le chiffre de 1 million de salariés qui, chaque année, se voient notifier des avis de restrictions d'aptitude. Plusieurs dizaines de milliers d'entre eux sont déclarés inaptes à tout poste dans l'entreprise et sont licenciés. Avec peu de chances de retrouver un emploi. Selon plusieurs enquêtes régionales, l'inaptitude explose. Comment pourrait-il en être autrement ? Le travail s'intensifie, celui de nuit augmente, les troubles musculo-squelettiques restent la première cause de maladies professionnelles... Et dès lors que, dans le même temps, on recule l'âge de la retraite, il ne faut pas s'étonner qu'un nombre croissant de salariés ne tienne plus. Parce que leur état de santé n'est pas compatible avec des conditions de travail de plus en plus sélectives ou qu'ils sont usés par leurs expositions professionnelles passées.

Pour sortir de la spirale de l'inaptitude, on n'a pas tout essayé. Plusieurs dispositifs et acteurs peuvent être sollicités et ne le sont pas. Enfin, un emploi et une santé durables supposent un travail soutenable. A ces conditions, il est possible d'inverser la courbe !

"A quel homme le travail doit-il être adapté ?"

par Nathalie Quéruel / octobre 2014

Pour l'ergonome Samuel Libgot, il n'est possible de maintenir les salariés en emploi qu'en agissant sur le travail et son organisation. Avec l'objectif de créer des environnements adaptés à la diversité des conditions de santé des salariés.

Quel peut être l'apport de l'ergonomie concernant le maintien dans l'emploi ?

Samuel Libgot : L'intervention des ergonomes en entreprise vise à comprendre les situations réelles de travail pour les transformer au besoin, en mettant en lumière la façon dont les travailleurs vivent leur travail. Dans un contexte d'allongement de la durée des carrières professionnelles, en vue d'éviter l'exclusion précoce du marché du travail, il devient nécessaire d'appréhender autrement le vieillissement démographique. Ce dernier n'est pas une maladie, mais il faut regarder comment l'organisation du travail peut accélérer ce processus et mettre en exergue une perte de capacité. Vouloir maintenir les salariés en emploi revient donc à agir sur leur travail, ce qui est le fondement de l'ergonomie, en dépassant une approche de stricte compensation fonctionnelle d'une situation individuelle.

L'action du Groupement d'étude pour le développement de l'ergonomie en réadaptation (Geder) a-t-elle permis d'améliorer cet apport ?

S. L. : Le Geder est une association qui vise au développement de l'ergonomie dans les structures oeuvrant à la réadaptation des personnes en situation de handicap. Nos travaux ont permis de montrer que les situations d'entrave rencontrées par certains individus, qui ne correspondent pas à la norme de l'homme standard, sont révélatrices des difficultés que peuvent rencontrer leurs collègues. Ils ont aussi indiqué que la survenue de situations invalidantes annonce celle de situations de handicap. Il faut donc les prévenir. Pour viser une pleine intégration, il est ainsi indispensable d'agir, avant tout, sur les dimensions collectives du travail : le temps de travail, la coopération entre les travailleurs, etc. Dans un deuxième temps, on pourra s'intéresser à l'adaptation des outils de travail. D'une certaine façon, le siège ergonomique n'existe pas. C'est d'abord la possibilité de disposer de son propre corps qui va permettre la prévention du mal de dos ! La question est de voir comment l'organisation du travail peut évoluer pour permettre cette possibilité. On parlera alors d'organisations "capacitantes". Les ergonomes peuvent accompagner les entreprises dans cette démarche.

Quels sont les nouveaux défis ?

S. L. : La pratique de l'ergonomie dans le champ de la réadaptation amène la question suivante : à quel homme le travail doit-il être adapté ? Cela implique de se pencher sur les variabilités interindividuelles au travail. Les irrégularités de l'état de santé font partie de la normalité, qu'elles soient reconnues ou non comme telles. Mais elles augmentent la sensibilité des individus aux aléas du milieu de travail, alors que la bonne santé les tolère.

Repères

Créé en 1984, le Groupement d'étude pour le développement de l'ergonomie en réadaptation (Geder) est un lieu de réflexion et d'échange de connaissances sur la pratique de l'ergonomie dans les situations de handicap au travail. Ses travaux de recherche ont notamment porté sur la modélisation des situations handicapantes et sur la compréhension des processus d'exclusion des personnes handicapées dans le monde du travail.

Avec l'allongement de la durée d'activité lié au recul du départ en retraite, l'enjeu pour les entreprises sera de conserver leurs salariés, quels que soient leur âge ou leur état de santé. Pour cela, elles devront mieux prendre en compte l'altérité, le fait que les opérateurs ne sont pas similaires. Le défi à venir pour l'ergonomie, c'est sans doute de se rapprocher davantage des sciences de gestion pour former les dirigeants et les managers aux notions de travail réel et d'altérité, du fait de l'extrême diversité des populations au travail. La construction d'environnements "capacitants", permettant le développement de l'activité professionnelle sur les plans physique, cognitif et social, apparaît aujourd'hui comme un des objectifs de l'action ergonomique.