" Notre jurisprudence incite à la prévention "

par Aurore Moraine / avril 2011

Hervé Gosselin, conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation, admet une passerelle entre l'obligation de sécurité de résultat et la pénibilité. Avec une charge de la preuve reposant désormais sur l'employeur.

La jurisprudence sur l'obligation de sécurité de résultat n'aboutit-elle pas à condamner systématiquement l'employeur ?

Hervé Gosselin : Absolument pas. Notre jurisprudence vise à inciter fortement l'employeur à prendre les mesures indispensables de prévention des risques. Un arrêt du 3 février 2010, plus particulièrement, a fait débat. Une salariée est victime de harcèlement moral, ce qui conduit l'employeur à prendre immédiatement des mesures pour y mettre un terme. Il est néanmoins condamné pour violation de son obligation de sécurité de résultat. Dans cette affaire, la chambre sociale de la Cour de cassation se situe sur le terrain de la prévention, selon les principes énoncés aux articles L. 4121-1 et L. 1152-4 du Code du travail. La prévention a échoué, puisque le harcèlement a eu lieu. Le fait que l'employeur ait agi ensuite n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

Dans l'arrêt du 30 novembre dernier, un intérimaire est indemnisé pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, alors qu'il n'est pas malade... Est-ce un tournant ?

H. G : Non, cet arrêt est intéressant mais classique. Il s'inscrit dans une jurisprudence bien établie depuis l'arrêt du 29 juin 2005 sur le tabagisme. Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt de novembre 2010, l'intérimaire est exposé aux fumées de soudage. Il doit bénéficier d'une mesure de protection clairement identifiée en amont des travaux, en l'occurrence le port d'un masque. Or, pendant une semaine, il est contraint de travailler sans masque. Le raisonnement est très simple : a-t-il bénéficié d'une mesure de protection ? Dans la négative, le manquement à l'obligation de sécurité de résultat est caractérisé, peu importe le débat sur la réalité de son intoxication au chrome.

Sur qui repose la charge de la preuve ?

H. G : Sur ce point, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de rendre, le 12 janvier, un arrêt très important. Nous décidons que lorsqu'un salarié invoque un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, c'est à la partie patronale de faire la démonstration inverse. En clair, la charge de la preuve est considérablement allégée pour le salarié.

Dans cet esprit, un salarié peut-il réclamer des dommages-intérêts sur la base de la pénibilité de son travail ?

H. G : Vous abordez là une question distincte, sans toutefois qu'elle soit totalement étrangère à l'obligation de sécurité de résultat. Des passerelles sont en effet possibles entre ces deux notions. Prenons l'exemple du travail de nuit, qui peut entrer dans la catégorie des travaux pénibles. Ces tâches sont certes usantes, mais ne sont pas interdites par la loi. Cependant, s'il est démontré que l'employeur n'a pas pris les mesures de protection prévues par les textes, par exemple concernant la surveillance médicale spéciale, il aura alors manqué à son obligation de sécurité. Idem s'il est établi que le médecin du travail a préconisé un aménagement de poste du travailleur de nuit, ignoré par l'employeur. Dans ces hypothèses, le salarié pourrait demander réparation du préjudice subi. En la matière, je le rappelle, le régime probatoire est favorable au salarié. Quant au montant de l'indemnisation, le juge du fond est souverain. Il pourrait sans doute prendre en compte le fait que le salarié, une fois licencié, n'aurait guère de chances, compte tenu de son état de santé, de retrouver un emploi d'ici à l'âge de la retraite.