© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE

Des ombres au tableau "TMS"

par Joëlle Maraschin / janvier 2009

Imposée en novembre par le ministère du Travail, soutenue par l'Assurance maladie et le patronat, la révision du tableau 57 relatif aux troubles musculo-squelettiques vise, selon les organisations syndicales, à limiter le nombre de maladies reconnues.

C'est aujourd'hui une certitude : le tableau 57 portant sur les troubles musculo-squelettiques (TMS) liés au travail est sur la sellette. Par une lettre de mission du 12 novembre dernier, la direction générale du Travail (DGT) a confié au Pr Paul Frimat le soin d'animer les travaux du groupe de partenaires sociaux chargé de sa révision au sein de la commission spécialisée en maladies professionnelles (CMP) du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels. Se défendant d'une approche uniquement comptable, la DGT souligne pourtant que le tableau 57 représente 72 % de l'ensemble des maladies professionnelles reconnues en 2005, mais aussi 65 % des dossiers soumis aux comités régionaux (C2RMP) qui gèrent le système de reconnaissance "hors tableaux" (voir encadré). De leur côté, les organisations syndicales représentatives et l'Association des accidentés de la vie (Fnath) réitèrent dans un communiqué commun leur désaccord quant aux modalités de cette révision imposée. "La méthode envisagée, celle d'une mise à plat globale et d'une révision entière du tableau, n'est justifiée que par des arguments financiers", jugent les représentants des salariés.

 

Un système de réparation à deux vitesses

Il revient au salarié victime d'une maladie professionnelle d'en faire la déclaration auprès de sa caisse primaire, dès lors qu'il est en possession d'un certificat médical mentionnant un lien possible entre sa pathologie et son activité1

Le système de réparation est fondé sur les tableaux de maladies professionnelles, dans lesquels sont précisés les affections, les travaux susceptibles de les provoquer ainsi que les délais de prise en charge, c'est-à-dire le temps maximal entre la date de la cessation d'exposition au risque et celle de la première constatation médicale de la maladie. Si le salarié répond à l'ensemble des critères, il n'a pas à prouver le lien de causalité entre sa maladie et son travail - on parle alors de "présomption d'origine". Quand toutes les conditions ne sont pas remplies ou qu'il n'existe pas de tableau pour la pathologie, la victime ou la caisse peuvent solliciter le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Ce système complémentaire permet de traiter les demandes irrecevables au titre des tableaux, mais la victime doit apporter la preuve que sa maladie a un lien direct avec son travail. Un exercice toujours long et difficile...

  • 1

    Pour en savoir plus sur la procédure de déclaration, voir Santé & Travail n° 58, avril 2007, page 29.

 

But affiché : harmoniser la prise en charge

Pour convaincre les partenaires sociaux de négocier la révision du tableau, la direction des Risques professionnels à la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) propose en particulier d'ajouter un certain nombre de TMS qui n'y sont pas toujours mentionnés ou encore d'augmenter les délais de prise en charge de certaines affections. Elle assure que le désengorgement des C2RMP attendu de la révision doit entraîner un recentrage du dispositif complémentaire vers des pathologies mal prises en charge par les tableaux, comme certains cancers professionnels ou les troubles liés à la souffrance au travail.

"Le libellé du tableau 57 pose d'importantes difficultés aux caisses primaires, en raison notamment de l'intitulé du tableau ["Affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail", NDLR], des travaux listés, des délais de prise en charge", argumente le directeur des Risques professionnels, Stéphane Seiller. "Ces difficultés conduisent à une hétérogénéité des pratiques et donc à une disparité de traitement des victimes selon leur caisse de rattachement", continue-t-il.

En dépit des promesses de la Cnam, les confédérations syndicales relèvent que la lettre de mission concernant la révision du tableau 57 n'envisage pas d'y faire figurer de nouvelles affections telles que certains syndromes canalaires ou la maladie de Dupuytren, troubles musculo-squelettiques dont l'origine professionnelle est pourtant reconnue aujourd'hui par les médecins. De plus, la direction générale du Travail ne mentionne à aucun moment la prise en compte des facteurs psychologiques et organisationnels dans la survenue des TMS. "Ce tableau mérite certes d'être réactualisé à la lumière des connaissances scientifiques, mais compte tenu de l'état du dialogue social, le risque est grand pour les salariés de consentir à sa révision", estime ainsi François Becker, médecin du travail et représentant de la CFE-CGC à la commission.

 

Un toilettage acceptable... sous conditions

Depuis le début des discussions, les représentants des salariés sont confrontés à une délégation patronale particulièrement mordante sur le sujet. Contactée par Santé & Travail, celle-ci n'a pas souhaité s'exprimer. Selon les syndicats, les fédérations patronales n'ont de cesse de dénoncer de prétendus abus pour réclamer une révision au kärcher du tableau. Elles avancent aussi la notion de "fractions attribuables", c'est-à-dire la prise en compte de facteurs individuels pour expliquer la survenue de certaines pathologies. Il s'agit pour les employeurs de diminuer le nombre de pathologies reconnues, afin d'alléger leurs cotisations à la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Cnam. "Nous souhaiterions un toilettage partiel plutôt qu'une remise à plat du tableau", indique Alain Cosset, pour la CFDT. Celui-ci ne souhaite pas pour autant "s'arc-bouter" sur un refus de toucher au tableau 57, alors que d'autres représentants à la CMP semblent plus enclins à jouer la carte de l'obstruction, ne serait-ce que pour gagner un peu de temps. Tous savent néanmoins que la commission n'a qu'un rôle consultatif et que le gouvernement peut très bien passer outre l'avis des partenaires sociaux pour imposer les préconisations de la Cnam... avec la bénédiction du patronat.

Quoi qu'il en soit, les organisations syndicales ont décidé début décembre de participer aux prochains débats autour de cette révision, moyennant quelques exigences, en l'occurrence qu'elle repose sur des bases strictement scientifiques et médicales, qu'elle prenne en compte tous les éléments de causalité à l'origine des TMS et, surtout, que l'entrée de nouvelles pathologies puisse être étudiée.

 

Recours en Conseil d'Etat

Outre le 57, d'autres tableaux en cours de refonte ou de création inquiètent les représentants des salariés. Ainsi, la création en décembre 2007 du tableau 61 bis, qui prend en compte les cancers broncho-pulmonaires dus au cadmium, fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat porté par l'ensemble des confédérations syndicales et la Fnath. Ce tableau introduit la notion de "délai de latence", durée minimum entre le début de l'exposition et le premier constat de la maladie. Or ce délai n'est ni prévu dans la loi, ni justifié médicalement parlant. Quant au tableau 6, relatif aux affections provoquées par les rayonnements ionisants, sa révision est en situation de blocage. Le patronat tente en effet d'y faire spécifier des paramètres de dosimétrie, alors que les représentants des salariés plaident pour une reconnaissance des cancers de la thyroïde dus aux rayonnements. De l'avis de nombreux observateurs, l'établissement des tableaux résulte plus de rapports de force sociaux que de la réalité médicale. Et la révision du tableau 57 ne devrait pas échapper à la règle.

En savoir plus