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Une ONG pour défendre la santé au travail

par Clotilde de Gastines / avril 2018

Centenaire et présente dans 93 pays, la Commission internationale de la santé au travail constitue un vaste réseau de promotion des savoirs et d'échanges entre professionnels. Elle produit aussi outils et recommandations pour des instances gouvernementales.

Un médecin du travail japonais qui témoigne après l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima (Japon). Un salarié de Total qui décrit la mise en place d'un système de prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) sur une plateforme pétrolière. Un chercheur qui évoque les 650 000 Chinois atteints d'une tuberculose due au travail. Partagés dans le cadre de la Commission internationale de la santé au travail (Cist), "ces témoignages rares et puissants permettent de prendre du recul sur notre pratique quotidienne et nos sujets de recherche", affirme un ancien membre du conseil d'administration de l'organisation, le Pr Yves Roquelaure, chef du service santé au travail et pathologies professionnelles du CHU d'Angers.

 

"Encourager le progrès scientifique"

 

Fonctionnant comme une société savante, un réseau d'échanges de bonnes pratiques et de mobilisation de la recherche, la Cist - ou, en anglais, International Commission on Occupational Health (Icoh) - se définit elle-même comme une structure "sans but lucratif, apolitique, multidisciplinaire, dont le seul objectif est d'encourager le progrès scientifique, la connaissance et le développement de la santé au travail et des sujets qui s'y rapportent, sur une base internationale". Cette ONG organise tout au long de l'année, aux quatre coins du monde, des rendez-vous scientifiques ouverts aux praticiens et aux chercheurs en santé au travail. A l'occasion de son prochain congrès triennal, qui se déroulera à Dublin (Irlande) du 29 avril au 4 mai prochain, des centaines d'entre eux communiqueront ainsi les résultats de leurs travaux (voir "Sur le Net"). Et à la rentrée, une conférence sur l'employabilité durable aura lieu à Louvain (Belgique).

Créée en 1906 par des Français et des Italiens, à la suite d'accidents survenus lors du creusement de tunnels ferroviaires dans les Alpes, la Cist est, dans le domaine de la santé au travail, la plus ancienne association scientifique. Elle compte aujourd'hui plus de 2 000 membres issus de 93 pays, parmi lesquels une cinquantaine de Français. Les universitaires sont majoritaires et le recrutement s'opère par le biais de trois parrainages académiques. "La cooptation vise à limiter les conflits d'intérêts", explique Quentin Durand-Moreau1 , médecin du travail au CHU de Brest, qui brigue le poste de secrétaire national français. Chaque secrétaire national fait office de relais entre le conseil d'administration et les membres de son pays. Et chacun des 37 comités scientifiques, qui se réunissent à intervalles réguliers, est animé par un chercheur. "Pour assurer le renouvellement des instances et rajeunir les adhérents, les mandats de trois ans sont limités à deux consécutifs", expose Alexis Descatha, professeur de médecine du travail, ancien secrétaire national français entre 2012 et 2015 et animateur du comité scientifique sur les urgences en milieu de travail. L'actuel secrétaire général de la Cist est un Italien, Sergio Iavicoli, et son président est un Finlandais, Jukka Takala, qui a dirigé l'Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail (EU-Osha) et l'Institut de santé et sécurité au travail de Singapour.

 

Code d'éthique

 

Selon Yves Roquelaure, qui a animé le comité scientifique dédié aux TMS, la Cist est "un très bon observatoire de la mondialisation. On voit des pays à la pointe en matière de prévention comme le Japon, d'autres qui ont émergé comme le Vietnam, mais on constate aussi des dérives commerciales sur cette question, notamment en Inde". Les échanges permettent aux membres de nourrir leur réflexion sur leur pratique. La Cist promeut dans son code d'éthique "le plus haut niveau d'engagement moral et professionnel pour la santé et la sécurité des travailleurs et de leurs familles". La première édition de ce code, parue en 1992, a été réactualisée à deux reprises.

Chacun peut également apprécier son propre environnement organisationnel et réglementaire. "En observant les systèmes de médecine de travail étrangers, j'ai pu constater que les bonnes équipes de santé au travail sont pluridisciplinaires", note Jean-François Caillard, professeur de médecine du travail au CHU de Rouen, élu président en 1993, puis en 2000. Durant ses mandats, il a effectué des missions en Afrique de l'Ouest et en Amérique latine pour former des professionnels en santé au travail et il a contribué à la création d'instituts de santé au travail partout dans le monde. "L'association sème, aide et catalyse, déclare-t-il. La santé au travail est un domaine dans lequel il faut se battre tous les jours pour avancer."

Le sigle de l'ONG n'est pourtant pas très visible dans les publications scientifiques. Les raisons sont avant tout "bureaucratiques", estime Stavroula Leka, chercheuse à l'université de Nottingham (Royaume-Uni), qui anime le comité scientifique sur les risques psychosociaux (RPS) depuis six ans. Les membres de la Cist collaborent à des projets de recherche soumis par le Bureau international du travail (BIT) ou l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais les clauses de confidentialité étant très strictes, il n'est pas possible d'en publier le contenu.

Certains chercheurs sont amenés à créer, individuellement ou en équipe, des outils, des normes ou des guidelines (recommandations). Des membres du comité RPS ont, par exemple, rédigé un guide pratique sur le sujet pour le gouvernement néerlandais et ont élaboré un baromètre de la santé mentale pour les autorités australiennes. Ce même comité contribue en ce moment, pour l'Union européenne, à la conception d'une plateforme de formation à distance sur la prévention et la prise en charge des RPS. Il accompagne également un projet de norme ISO sur la gestion des risques psychosociaux en milieu de travail. "Ce processus peut prendre des années si l'Organisation internationale de normalisation accepte de le lancer", prévient Stavroula Leka. Cette nouvelle norme viendrait compléter la norme ISO 45001, relative aux systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail, qui a été publiée le 12 mars dernier2

 

Recherche du consensus

 

Enfin, les chercheurs sont sollicités par l'Union européenne pour réaliser des revues de littérature scientifique. Ou pour participer à des groupes de travail, à l'instar de Stavroula Leka, qui a fait partie de l'équipe ayant formulé des recommandations destinées à la direction générale de la Santé de la Commission européenne en 2013 et à celle de l'Emploi en 2014. Dans ces moments clés, les chercheurs peuvent se trouver en position de lobbyistes. Pour autant, la recherche du consensus est dans l'ADN de l'association. "La Cist est une organisation scientifique dans laquelle les parties prenantes sont capables de transmettre leur savoir dans une neutralité politique aussi tenable que possible sur un sujet économico-politique et social absolument majeur, terreau de toutes les tensions", résume Jean-François Caillard.

  • 1

    Quentin Durand-Moreau est membre du comité de rédaction de notre magazine.

  • 2

    La France ayant voté contre le projet de texte de la norme ISO 45001, celle-ci ne sera pas adoptée en norme NF.

Sur le net
  • Pour en savoir plus sur la Cist, consulter le site icohweb.org. Le programme de son 32e congrès est disponible sur le site icoh2018.org/2018