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Oppositions à la disparition des CHSCT dans le public

par Anne-Marie Boulet / avril 2019

Prévue par le projet de loi de transformation de la fonction publique, la suppression des CHSCT, après fusion avec les comités techniques, ne passe pas auprès des organisations syndicales. Elles redoutent une moindre prise en charge des questions de santé au travail.

Le 15 mars dernier, à l'issue d'une réunion du Conseil commun de la fonction publique (CCFP), les neuf organisations syndicales représentatives - CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FA-FP, FO, FSU, Solidaires et Unsa - ont rejeté le projet de loi de transformation de la fonction publique présenté par leur ministre, Olivier Dussopt. Cette rare unanimité n'a pas pour fondement les seules modifications statutaires prévues dans le texte. La fusion de deux instances représentatives du personnel - les comités techniques (CT) et les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) - est aussi à l'origine de ce rejet par les syndicats, bien qu'à des degrés divers.

A l'image du comité social et économique (CSE) instauré dans le secteur privé, la nouvelle instance issue de la fusion s'appellera comité social d'administration (CSA) dans la fonction publique d'Etat, comité social d'établissement (CSE) dans l'hospitalière et comité social territorial (CST) dans les collectivités. A l'annonce de cette fusion, en mai 2018, toutes les organisations syndicales avaient rappelé qu'elles considéraient "comme un atout positif et significatif [...] le fait d'avoir deux instances distinctes ayant pour compétence de travailler sur des enjeux spécifiques, clairement identifiés". Un an après, la CFDT mise sur la négociation pour limiter les dégâts, jugeant que "sécurité et prévention ne sont pas uniquement une question d'instances", comme le stipule Carole Chapelle, secrétaire générale adjointe de la CFDT Fonctions publiques (Uffa-CFDT). Dans les autres syndicats, les avis sont plus tranchés.

 

"Recul du dialogue social"

 

Cette fusion revient à "clairement exprimer une volonté politique de casser une instance - les CHSCT - qui dérange les employeurs", estime ainsi Hervé Moreau (FSU), membre du CHSCT ministériel de l'Education nationale. Selon lui, le projet du gouvernement marque "un recul du dialogue social sur les conditions de travail et la santé au travail". Pour Annick Fayard, secrétaire nationale de l'Unsa Fonction publique chargée de la qualité de vie au travail, c'est "une réduction des droits des agents et une destruction systématique des contre-pouvoirs". Quant à Marc Gautreau, expert du cabinet Aliavox, il pointe le risque d'échanges déséquilibrés : "Pour dialoguer, il faut être à armes égales. En réduisant le nombre et les prérogatives des élus, ce ne sera plus le cas."

De ce point de vue, les deux instances fusionnées ne sont pas les seules touchées. Les commissions administratives paritaires (CAP) sont en effet "vidées de leur substance", selon Isabelle Godard, de la fédération CGT Santé Action sociale. Alors qu'elles traitent des questions individuelles et émettent un avis consultatif sur les déroulements de carrière, elles ne pourront plus se prononcer sur les mutations et promotions de service. Une mesure qui va de pair avec les mobilités voulues par le projet de loi concernant les passages du public au privé. Le recours à des contrats externes, à tout niveau et dans tous les versants de la fonction publique, ou la dévolution de missions au privé inquiètent beaucoup. En externalisant un service, ce seront aussi des fonctionnaires qui seront externalisés vers le privé. "Le projet de loi prévoit une possibilité de retour dans le secteur public. Mais, avec l'objectif affiché de supprimer 120 000 postes, les retours risquent d'être compromis", argumente Olivier Bouis, de FO.

Si les conditions de travail se sont dégradées dans la fonction publique, notamment depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP), la prise en charge des questions de santé au travail ne va pas de soi. Un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), rédigé par Sylvie Brunet, présidente de la section travail et emploi, relevait ainsi en 2013 "la difficulté à faire reconnaître l'impact des conditions de travail sur la santé psychologique des agents publics". Depuis, des plans d'action sur les risques psychosociaux (RPS) se sont mis en place, mais l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), chargée de les évaluer en 2017, rappelait qu'"il reste difficile de traiter des questions d'organisation du travail et de management". Annick Fayard note à ce propos le hiatus qui résulterait de la fusion : "Nos accords sur les risques psycho-sociaux sont fondés sur le rôle des CHSCT. Les supprimer ne revient-il donc pas à dénoncer les accords antérieurs ?"

 

La crainte des zones blanches

 

Avec seulement cinq années d'existence dans l'ensemble de la fonction publique, et malgré un fonctionnement disparate selon ses versants, les CHSCT demeurent un atout pour Isabelle Godard : "Comment faire de la prévention avec une instance non spécifique ?" interroge-t-elle. Dans le projet du gouvernement, la création, au sein des comités sociaux, d'une instance dédiée aux questions de santé au travail ne sera possible qu'à partir de 300 équivalents temps plein. Les syndicats demandent l'abrogation de ce seuil, redoutant des zones blanches, où les agents n'auront plus d'appuis sur les questions de conditions de travail. "Ce sera le cas dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, développe Isabelle Godard. Ce sont de petites structures, avec du personnel exposé à de nombreux risques." Un problème soulevé par les cabinets d'expertise. "Bon nombre de collectivités territoriales, qui disposent de CHSCT locaux, vont sortir des radars, signale Patrick Loire, du cabinet Secafi. Cela rompt le lien de proximité que les élus entretiennent avec les agents."

L'expert s'inquiète aussi des retombées du projet de loi en termes de RPS : "Le rythme des réformes a déjà été très intense dans certains secteurs. Ne va-t-il pas s'accélérer encore ?" Un constat que partage Olivier Bouis : "Les conditions de travail vont encore se dégrader si ce projet de loi va jusqu'au bout." Les évolutions des métiers de la fonction publique, liées en particulier à l'introduction massive de la numérisation, risquent également d'avoir des effets sur la santé des agents. C'est le constat établi, en décembre 2018, par un rapport du Cese intitulé L'évolution des métiers de la fonction publique. Pour ses auteurs, Michel Badré et Pierre-Antoine Gailly, "le dialogue social de proximité est le seul moyen pour les personnels de se faire représenter et d'informer l'employeur sur les risques d'une dégradation des conditions de travail. C'est l'une des compétences dévolues au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail [...], qu'il est primordial de conserver".

Un conseil de prudence que le gouvernement n'a semble-t-il pas entendu, puisqu'il ne compte modifier sa copie qu'à la marge, comme annoncé le 15 mars. Il a ainsi réintroduit l'obligation, qu'il avait supprimée, de faire s'exprimer les comités sociaux en cas de restructuration de service ou de "situation grave". Le bras de fer pour le retrait du projet de loi - ou a minima son amélioration - va donc se poursuivre.

En savoir plus
  • Parallèlement au projet de loi de transformation de la fonction publique, l'amélioration du dispositif de prévention des risques professionnels dans ses différents versants fait l'objet d'une mission d'étude, confiée récemment à la députée LREM du Nord Charlotte Lecocq par le gouvernement. Voir sur notre site l'article "La fonction publique au menu du prochain rapport Lecocq".