Ordre moral

par
N. M./FNMF N. M./FNMF
Philippe Davezies enseignant-chercheur en médecine du travail
/ juillet 2011

C'est la victoire du lobbying des addictologues. Dans son avis n° 1141 , rendu en mai dernier et portant sur l'usage des drogues et de l'alcool en milieu de travail, le Comité consultatif national d'éthique affirme que les médecins du travail devraient étendre à de très nombreux salariés les mesures de contrôle des drogues mises en oeuvre pour la conduite automobile. L'idée est de suivre l'exemple des Etats-Unis, où ce contrôle en milieu de travail n'est pas considéré comme une activité médicale, mais comme une tâche de police et un moyen d'évaluer la moralité du salarié. Car c'est bien de moralité qu'il s'agit. L'avis met l'accent sur le caractère illicite des drogues, beaucoup plus que sur le risque sanitaire. Ainsi, l'augmentation du risque routier lié à l'usage du cannabis est soulignée, sans préciser que le risque est faible en comparaison de celui lié à l'alcool. Le dépistage des produits illicites en milieu de travail est donc considéré comme " justifié ", alors qu'il est simplement suggéré qu'il soit " étendu " au risque alcool.

Il est clair que, dans cette affaire, la sécurité n'est qu'un prétexte. Aucun spécialiste du domaine n'a été auditionné. L'argument principal est l'acceptabilité sociale supposée des mesures envisagées : l'évolution des mentalités offrirait une opportunité pour une avancée dans le sens d'une politique sécuritaire. Il ne s'agit pas là d'éthique, mais d'idéologie et de tactique. La question de la prise en charge des addictions en milieu de travail, comme celle de la sécurité et de la sûreté, exigerait certes une réflexion, mais sérieuse, informée, intelligente, et non un avis imprégné d'ordre moral.

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    Intitulé " Usage de l'alcool, des drogues et toxicomanie en milieu de travail. Enjeux éthiques liés à leurs risques et à leur détection ", cet avis peut être consulté sur le site du Comité consultatif national d'éthique : www.ccne-ethique.fr