Pénibilité : la mobilisation se poursuit

par Martine Rossard / juillet 2011

Face à des décrets sur la pénibilité jugés trop restrictifs, syndicats et associations de victimes ne désarment pas. Ils se mobilisent à la fois pour une meilleure prévention et pour la reconnaissance effective de la pénibilité en vue d'une retraite anticipée.

Quelque 35 % des travailleurs âgés de 50 à 59 ans déclarent avoir été exposés pendant quinze ans ou plus à un poste pénible. Parmi eux, 24 % connaissent des limites dans leur vie quotidienne en raison de problèmes de santé, contre 17 % des autres seniors. Et, après 50 ans, ils sont moins souvent en emploi que la population générale du même âge. Tels sont les principaux enseignements de l'enquête SIP, pour " Santé et itinéraire professionnel ", réalisée en 2007 et rendue publique le 15 mars dernier (voir " Repère ").

Repère

L'enquête SIP (pour " Santé et itinéraire professionnel ") a été conçue par la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail et la direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques (Drees) du ministère de la Santé. Une première vague a été réalisée en 2006-2007, une seconde en 2010. Les résultats évoqués ici ont été publiés dans Dares Analyses (n° 020, mars 2011).

Pour certains syndicalistes, l'enquête confirme la fréquence de la pénibilité ainsi que son impact sur la santé et le maintien dans l'emploi. De son côté, la Fnath (Association des accidentés de la vie) estime que le très long délai avant sa diffusion " n'est pas innocent "" Ces résultats auraient permis de conforter les arguments en faveur d'une réelle prise en compte de la pénibilité dans la loi sur les retraites et d'en convaincre certains parlementaires ", assure son secrétaire général, Arnaud de Broca. De fait, ces chiffres ont été livrés après le vote de la loi en novembre et la rédaction des décrets censés permettre aux salariés exposés à la pénibilité de partir à 60 ans, un âge où nombre d'entre eux sont déjà hors emploi. Les difficultés d'accès au dispositif ont été dénoncées par tous les syndicats1 . Même avec un taux d'incapacité de 10 à 20 %, le salarié doit prouver dix-sept ans de travail pénible. Les syndicats martèlent que les salariés usés prématurément par leurs mauvaises conditions de travail et ayant une espérance de vie réduite doivent bénéficier d'une durée de retraite en bonne santé équivalente à celle des travailleurs non exposés.

Vers un élargissement de la préretraite amiante ?
Martine Rossard

Depuis douze ans, 70 000 salariés environ ont pu partir en " préretraite amiante ". Ils avaient travaillé dans des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata) et appartenant aux secteurs de la transformation d'amiante, du flocage et du calorifugeage, de la réparation ou de la construction navales ; ils pouvaient aussi avoir été dockers, ou encore souffraient de maladies professionnelles dues à l'amiante reconnues. Mais l'Acaata ne couvre pas, loin de là, l'ensemble des salariés qui ont été exposés à ce matériau cancérogène.

En 2009, le ministère du Travail avait chargé l'Afsset, devenue depuis l'Anses1 , de présenter une synthèse des métiers exposés, en vue de la réforme du dispositif. " Nous avons regroupé les données et travaux produits par divers organismes et, malgré les différences de méthodologies, on constate que plusieurs métiers du bâtiment sont particulièrement exposés ", déclare Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique de l'Anses. L'étude, rendue publique le 30 mai, montre notamment que les calorifugeurs, chauffagistes, plombiers, maçons, couvreurs sont concernés. Et elle signale la nécessité d'un " état des lieux poussé " des métiers techniques ayant sûrement été exposés à l'amiante dans les fonctions publiques, lesquelles n'ouvrent actuellement aucun droit à une préretraite.

Suivi

" Cette étude nous conforte dans notre demande d'une voie d'accès complémentaire à l'Acaata, avec un examen des dossiers individuels ou collectifs par un organisme public à créer ", indique Alain Bobbio, secrétaire national de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva). L'extension du dispositif n'est pas pour autant acquise. Elle nécessiterait une inscription dans la loi de financement de la Sécurité sociale. " Il serait prématuré de dire ce qui va être fait, aucun arbitrage n'a encore été rendu pour savoir quels métiers ou combien de personnes pourraient être couverts ", indique Frédéric Tézé, chef du bureau Protection de la santé en milieu de travail au ministère du Travail. Mais, ajoute-t-il, " la commande de ce rapport montre que le ministère est sensible au problème "

En revanche, le gouvernement semble prêt à mettre en oeuvre une autre conclusion de l'Anses, qui estime que " les personnes ayant été exposées professionnellement à l'amiante doivent pouvoir bénéficier d'un suivi postprofessionnel spécifique ". Selon nos informations, un décret en ce sens devrait être publié avant la fin de l'année.

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    L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) résulte de la fusion, le 1er juillet 2010, de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa).

Des outils pour négocier

La CFDT, la CGT, la FSU, l'Unsa et Solidaires ont appelé les salariés et les fonctionnaires à se mobiliser le 28 avril dernier pour la prévention, l'amélioration des conditions de travail et la reconnaissance de la pénibilité. De nouveaux décrets ont en effet été élaborés, qui prévoient l'obligation de négocier dans les branches et les entreprises pour prévenir la pénibilité. " Mais cela ne concerne que les entreprises de plus de 50 salariés dont au moins 50 % des salariés sont exposés, sans compter que les employeurs pourront contourner la négociation en optant pour un plan unilatéral ", dénonce Mijo Isabey, de la CGT. Cette confédération prépare des guides pour ses négociateurs et sensibilise ses militants délégués du personnel et membres des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour faire respecter les règles déjà existantes en matière de prévention. A la CFDT, des manuels ont également été rédigés pour les négociateurs et des " flashmobs " ont été organisées à travers la France le 31 mai pour faire pression sur les interlocuteurs patronaux. Pour sa part, la FSU mise sur la concrétisation de l'accord " santé et sécurité " dans la fonction publique, où des CHSCT doivent prochainement remplacer les CHS existants. " Nous allons mobiliser nos collègues sur la pénibilité, car le personnel est au bout du rouleau physiquement et mentalement, alors même que notre dispositif de cessation progressive d'activité a été supprimé ", indique Elizabeth Labaye, de la FSU.

La traçabilité et la compensation des situations de travail pénibles, prévues par la loi sur les retraites, constituent également des axes de mobilisation pour les syndicats. " Il va falloir parvenir à individualiser par poste de travail l'exposition à la pénibilité et obtenir des départs anticipés ", commente Eric Beynel, de Solidaires. Selon lui, le Conseil d'orientation des conditions de travail devrait être saisi pour un bilan du dispositif. Au nom de la CFDT, Henri Forest plaide pour la transmission de toutes les données d'exposition aux caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Ces caisses doivent en effet traiter les demandes de retraite anticipée émises par les salariés victimes d'une incapacité. Mais, s'inquiète Mijo Isabey, comment vont être informées les personnes concernées actuellement en invalidité, en longue maladie ou au chômage ? Face à une démarche " technique et complexe ", la Fnath organise des réunions d'information, constitue des dossiers pédagogiques et prévoit de former les juristes et bénévoles de ses quelque 1 500 sections.

Un thème pour 2012

La porte entrouverte par ce dispositif ne saurait faire oublier la revendication d'un départ avant 60 ans pour tous les salariés usés. Et pas seulement pour ceux des grandes entreprises aptes à le financer. Pour y parvenir, plusieurs syndicats envisagent de faire de la pénibilité et de l'âge de départ à la retraite l'un des thèmes de la campagne présidentielle de 2012. " On fera tout pour obtenir le maximum du gouvernement actuel, promet Elizabeth Labaye. Mais l'an prochain, on interrogera tous les candidats sur la pénibilité et la santé au travail. "

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    Voir Santé & Travail n° 74, avril 2011, page 17.