Perturbateurs endocriniens : la demi-mesure de Bruxelles

par Joëlle Maraschin / octobre 2016

La Commission européenne a proposé de ne retenir comme perturbateurs endocriniens que ceux dont l'effet sur l'être humain est "avéré". Experts, syndicats et ONG s'alarment d'un projet de réglementation dangereux pour les salariés exposés.

Avec plus de deux ans de retard par rapport à ses obligations légales, la Commission européenne a finalement présenté le 15 juin dernier ses propositions relatives à l'identification des perturbateurs endocriniens. Ces substances chimiques, très utilisées par l'industrie, sont suspectées d'avoir de nombreux effets nocifs sur la santé humaine : toxicité pour la reproduction, cancers, troubles métaboliques comme le diabète ou encore maladies auto-immunes. Ignorant les nombreuses alertes des scientifiques sur le sujet, la Commission propose de ne retenir comme perturbateurs endocriniens que ceux dont la toxicité a été scientifiquement prouvée sur l'être humain.

En France, l'Agence de sécurité sanitaire (Anses) a promptement réagi fin juillet, en préconisant dans un avis de classer les perturbateurs endocriniens en trois catégories - avérés, présumés et suspectés -, comme c'est le cas pour les produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Les experts de l'Anses estiment que cette "approche graduée permettrait de mieux prendre en compte les incertitudes" quant à la toxicité des produits. A titre d'exemple, il existe 261 CMR avérés et 1 676 présumés et suspectés, mais l'ensemble des CMR fait l'objet d'une réglementation protectrice, notamment pour les travailleurs exposés. "Le niveau de preuve demandé par la Commission paraît tellement élevé qu'on aurait beaucoup de mal à identifier des perturbateurs endocriniens avérés. Peu d'études épidémiologiques ont démontré l'effet toxique de ces perturbateurs sur l'homme", souligne Cécile Michel, de l'unité d'évaluation des substances chimiques de l'Anses.

À l'encontre de la santé publique

La société savante américaine Endocrine Society, qui réunit 18 000 médecins et chercheurs, a elle aussi exprimé sa vive inquiétude quant aux critères restrictifs retenus par Bruxelles, en jugeant qu'ils allaient à l'encontre de la santé publique. En matière de risques professionnels, il n'existe pas de données précises sur le nombre de salariés exposés. Mais pour la Confédération européenne des syndicats (CES), qui pense elle aussi nécessaire de classer les perturbateurs endocriniens en trois catégories, des centaines de milliers de salariés seraient exposés à ces produits chimiques. "Avec les critères retenus par l'Europe, seulement quelques dizaines de perturbateurs endocriniens seraient considérés comme tels", déplore Tony Musu, chercheur à l'Institut syndical européen, organisme rattaché à la CES. "Or des organisations indépendantes ont déjà identifié plusieurs centaines de perturbateurs endocriniens", continue-t-il.

Actuellement, le terme de "perturbateur endocrinien" n'apparaît quasiment pas dans les législations sur le travail en Europe, puisque ces substances ne sont toujours pas définies au sein de l'Union. En France, l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) recommande une démarche de prévention similaire à celle des CMR, avec notamment l'application du principe de substitution. Reste à savoir quels produits seront effectivement considérés comme perturbateurs endocriniens lors de l'évaluation des risques.