Pesticides : la direction de l’Alimentation du ministère de l’Agriculture dans le collimateur

par Eliane Patriarca / 25 avril 2013

Alors que la direction générale de l’Alimentation au ministère de l’Agriculture fait l’objet d’une plainte déposée mercredi pour avoir laissé sur le marché des pesticides contre l’avis de l’Agence de sécurité sanitaire, Santé & Travail et Libération se sont procuré un courrier du ministère du Travail mettant en cause certaines pratiques de cette direction.

La direction générale de l’Alimentation (DGAL) est sur la sellette. En charge des autorisations de mise sur le marché (AMM) des pesticides au sein du ministère de l’Agriculture, la direction générale de l’Alimentation fait l’objet d’une plainte pour mise en danger d’autrui, déposée mercredi par Générations futures. Selon cette organisation non gouvernementale (ONG), la DGAL a laissé sur le marché sept pesticides particulièrement toxiques (cinq désherbants, dont certains vendus aux particuliers, et deux insecticides) contre l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui avait pointé des risques « inacceptables » pour l’utilisateur.

La plainte vise les « représentants de l’Etat chargés des AMM » et les « fabricants de produits phytosanitaires ». Pour étayer sa plainte, l’ONG cite deux courriers adressés par Marc Mortureux, directeur général de l’Anses, à Patrick Dehaumont, directeur de la DGAL. Le 27 août 2012, Marc Mortureux lui rappelle avoir déjà « attiré l’attention »  de ses services, le 7 octobre 2009, sur « les problèmes posés » par le fait que les avis de l’Agence relatifs aux pesticides ou aux produits fertilisants  « n’étaient pas tous suivis d’une décision par le ministère [...] dans les délais prévus par la réglementation ».

Avis défavorables restés sans effet

Il déplore le « maintien sur le marché de produits pour lesquels avait été émis un avis défavorable ou un avis favorable avec restrictions ».  En clair, le ministère a refusé d’interdire ou de restreindre l’usage de pesticides pourtant jugés dangereux par l’Anses. Marc Mortureux dénonce aussi « la mise à jour incomplète » effectuée lors de renouvellements d’AMM. Par exemple, pour le glyphosate, la matière active du Round up, le désherbant le plus utilisé dans les jardins, le ministère n’a pas tenu compte du fait que ce produit était en cours de réexamen au niveau européen (c'est à l’échelon communautaire que les molécules actives sont évaluées). Le directeur de l’Anses a recensé quelque 200 produits pour lesquels « des différences et anomalies ont été repérées ».

Marc Mortureux revient à la charge le 14 novembre 2012 et dénonce aussi un subterfuge administratif mis au point par la DGAL, qui permet d’obtenir le renouvellement d’une AMM « sans publication d’un avis ou d’une recommandation » de l’Anses.

Au-delà de la plainte, Générations futures appelle donc au retrait du marché de dizaines de pesticides pour lesquels l’Anses a émis des avis défavorables en raison de l’impact sur la santé ou sur l’environnement, avis dont la DGAL n’a pas tenu compte. Ces révélations ont fait réagir le ministre de l’Agriculture. Dans un communiqué publié mardi, Stéphane Le Foll a demandé à la DGAL de « répondre point par point à toutes les questions posées par Générations futures, et de rendre ces informations publiques au début de la semaine prochaine », car « sur tous les sujets sanitaires, la transparence est de mise ».

 « Ce protocole n’est pas respecté »

Il y a fort à faire. Car la DGAL a toujours cultivé la plus grande opacité autour des AMM de pesticides. Ce dont témoigne aussi un document dont Santé & Travail a pu se procurer une copie : une lettre adressée le 14 mars 2011 par le directeur général du Travail (DGT), Jean-Denis Combrexelle, au cabinet du ministre du Travail et de la Santé d’alors, Xavier Bertrand. Il y évoque « les difficultés rencontrées par la DGT en ce qui concerne la procédure de délivrance des AMM conduite par le ministère de l’Agriculture ». Il rappelle que si l’AMM est délivrée par la DGAL, il existe « un protocole d’échange interministériel » afin de consulter d’autres directions : celles du Travail, de la Santé, de la Concurrence et Répression des fraudes et, enfin, de la Prévention des risques. « Ce protocole n’est pas respecté », constate le DGT, qui précise : « Pas de consultations menées par la DGAL sur les projets de décisions, absence de tableaux de bord, ou de réunions régulières de suivi… »

Le DGT ajoute que « la DGAL ne communique que très difficilement sur les demandes qui lui sont adressées par les autres départements ministériels concernant le contenu des projets de décisions qu’elle compte prendre ». Le directeur général du Travail pointe dans ce courrier un autre problème dans l’autorisation des pesticides : leur mise sur le marché est « en général subordonnée au port d’un équipement de protection individuelle (EPI) ». Car avec ces produits dont la plupart sont cancérogènes, mutagènes et/ou reprotoxiques, le risque zéro n’existe pas pour ceux (notamment les agriculteurs) qui les manipulent. Le DGT recommande logiquement de ne pas autoriser un pesticide lorsqu’« il n’existe pas d’EPI apportant une protection » efficace.

La DGAL a donc beaucoup de pain sur la planche pour apporter, d’ici la semaine prochaine, clarté et transparence sur la manière dont sont délivrées les autorisations de commercialisation des pesticides.