Paul François : le porte-parole des " phyto-victimes "

par Nathalie Quéruel / juillet 2012

Intoxiqué au Lasso, un désherbant produit par Monsanto, cet agriculteur combatif a obtenu en février la condamnation du géant de l'agrochimie. Il a aussi créé et préside une association venant en aide aux victimes des produits phytosanitaires.

Le 13 février, le tribunal de grande instance de Lyon a reconnu la faute du groupe agrochimique Monsanto dans l'intoxication de Paul François par un herbicide, le Lasso, près de huit ans auparavant. Un jour de profonde émotion pour cet agriculteur déterminé, qui avait lancé cette procédure en responsabilité civile contre le géant américain. " J'ai d'abord pensé à ceux qui m'ont soutenu pendant toutes ces années, et particulièrement ma famille. " Avant de savourer une grande satisfaction au vu de cette décision " exemplaire ", selon son avocat, François Lafforgue : " Le jugement établit que le fabricant a manqué à son obligation d'information sur l'étiquetage du produit, concernant sa nature, sa dangerosité et les mesures de protection nécessaires. " Une première en France. Le tribunal a ordonné une expertise afin d'évaluer le préjudice et les dommages-intérêts.

" On se heurte à l'omerta "

Voilà une manche de gagnée, Monsanto faisant appel de sa condamnation. Paul François, 48 ans, n'est pas homme à lâcher l'affaire. Sa motivation n'est pas l'argent, même s'il estime juste d'obtenir une réparation matérielle. Parce que sa vie a été bouleversée au printemps 2004. Les ressorts de son engagement sont plus profonds, ancrés dans les valeurs humanistes transmises par des parents agriculteurs, catholiques pratiquants : " Chacun doit prendre la responsabilité de ses fautes. Je ne me ressens pas comme le pot de terre contre le pot de fer Monsanto. Je suis un citoyen conscient de ses droits, et qui entend les faire respecter. " Une ligne de conduite dont il ne s'est jamais départi, y compris pour faire reconnaître ses troubles de santé en maladie professionnelle.

S'il reste discret sur son état physique aujourd'hui, Paul François a subi des atteintes sévères. Lui qui était " toujours à 200 à l'heure ", cinq heures de sommeil par nuit lui suffisant amplement, ne travaille plus désormais qu'à mi-temps sur son exploitation céréalière de 240 hectares, à Bernac, en Charente. Dans son bureau décoré de photos de ses deux filles et d'un plan de ses terres, il raconte avec calme et précision son accident et les mois cauchemardesques qui ont suivi. Quelques heures après une nuit passée à traiter des champs au Lasso, il ouvre la cuve du pulvérisateur, restée au soleil, pour vérifier où en est le nettoyage automatique. Et ressent alors une " immense chaleur dans tout le corps ". Loin de se douter qu'il a inspiré à haute dose des vapeurs de monochlorobenzène, un des composants du produit, il rentre se doucher, persuadé d'en être quitte avec des problèmes intestinaux.

Paul François en 5 dates
  • 1964 Naissance à Ruffec (Charente).
  • 2004 Intoxication aiguë au Lasso, désherbant produit par Monsanto.
  • 2010 Reconnaissance en maladie professionnelle.
  • 2011 Création de Phyto-victimes.
  • 2012 Condamnation de Monsanto.

Or ce seront les urgences, à la suite d'une perte de connaissance. Après trois semaines d'hôpital, l'agriculteur retourne aux champs mais ne se sent plus comme avant : fatigue, bégaiement, vertiges, problèmes de concentration l'inquiètent. Du surmenage à la dépression en passant par la méningite.... des diagnostics, il en entendra de toutes sortes avant d'être hospitalisé cinq mois. Sa famille ne comprend pas l'absence d'analyses toxicologiques, tant elle est persuadée du rapport avec l'accident. Commence alors un long combat : " Pour comprendre ce qui s'est passé, explique simplement Paul François. Mais dès qu'on parle de produits phytosanitaires, on se heurte à l'omerta. " Ou, assure-t-il, au manque de compétence du corps médical et des centres antipoison. Et aux murs sourds des institutions.

Ainsi, c'est seulement en janvier 2010, au terme d'une intense bataille judiciaire, que la chambre sociale de la cour d'appel de Bordeaux a reconnu sa maladie professionnelle, la Mutualité sociale agricole ayant remis en cause le précédent jugement du tribunal des affaires de Sécurité sociale d'Angoulême établissant le lien entre ses troubles et l'inhalation du désherbant. " C'est un homme d'une grande persévérance face à la mauvaise foi de nos adversaires, note François Lafforgue. Il s'est battu pour faire des tests toxicologiques. Il a aussi mené ses propres recherches jusqu'à accéder à des documents montrant qu'en Belgique, Monsanto avait retiré son produit dès 1991, sous la pression des autorités. " En France, ce ne sera fait qu'en 2007.

Sur son chemin, Paul François reconnaît avoir croisé des chercheurs de grande qualité, tels que les toxicochimistes Henri Pézerat et André Picot : " Ils ont pris sur leur temps pour m'aider. J'ai envie de leur rendre à ma manière ce qu'ils m'ont donné. " D'où son implication dans la création, en mars 2011, de l'association Phyto-victimes, qu'il préside. Les adhérents sont principalement des agriculteurs, mais aussi des agents communaux ou des dockers, tous souffrant des effets de l'utilisation de produits phytosanitaires. Comme Denis Camuset, 48 ans, cultivateur et éleveur dans le Jura, atteint d'un lymphome qui le contraint à passer une partie de son temps en fauteuil roulant : " J'ai de l'admiration pour Paul, qui est un homme droit, dont le discours ne varie pas. Nous sommes de cette génération qui a commencé à travailler en plein boom des pesticides. Sans protection, nous traitions autant le bonhomme que les céréales. "

Des hommes... purs produits de l'agriculture intensive. Titulaire d'un BEP agricole, Paul François s'installe en 1987 sur une partie de l'exploitation de ses parents. Ce travail n'est pas une vocation, mais il attrape très vite la passion. Il agrandit son domaine rapidement, à l'heure où les fermes alentour manquent d'héritiers. Les investissements sont lourds et demandent à être rentabilisés. Il faut produire en quantité blé, maïs et colza, et il ne lésine pas sur les produits chimiques tant vantés pour pousser les rendements. Cependant, à la fin des années 1990, constatant que cette technique épuise les sols, il revient aux basiques de l'agronomie : rotation des cultures et épandage de fumier, pour diminuer la consommation d'engrais coûteux. " C'était un agriculteur productiviste, il s'est remis en question et a changé beaucoup de choses dans sa pratique ", témoigne Jacky Ferrand, membre de Phyto-victimes, dont le fils viticulteur en Charente est décédé d'un cancer de la vessie. " C'est un bagarreur et un humaniste ", ajoute-t-il.

Pour une agriculture saine... mais pas bio

Pour autant, après son accident, Paul François n'a pas versé dans le bio, faute d'en avoir la compétence technique pour ses immenses hectares. Ce qu'il défend, c'est une agriculture raisonnable, avec des produits débarrassés des molécules toxiques et préservant la santé des cultivateurs et des consommateurs. Il s'énerverait presque du discours de " ceux qui ont mangé de la purée Mousline toute leur vie " et entendent lui " apprendre à faire pousser des patates ". L'agriculteur charentais a beaucoup voyagé, en Afrique, dans les pays de l'Est, aux Etats-Unis, et ne s'en laisse pas conter. " Pourquoi les paysans n'auraient pas, eux aussi, profité de l'essor économique des Trente Glorieuses ? Cette voie productiviste, ils ne l'ont pas décidée, elle répondait à une attente de la société. " Lui dit qu'ils n'en connaissaient pas les dangers, pour eux et pour autrui, même si quelques individus tiraient la sonnette d'alarme. C'est le sens de son combat contre Monsanto : il aurait aimé savoir, pour se protéger réellement, lui qui portait parfois des gants, juste pour éviter que ses mains ne soient tâchées par les tenaces traces violettes du Lasso...

En savoir plus
  • www.phyto-victimes.fr, le site de l'association Phyto-victimes, vise à informer sur l'impact sanitaire des pesticides et à aider dans leurs démarches de reconnaissance en maladie professionnelle les personnes souffrant d'atteintes liées à une exposition à ces produits. Egalement en ligne : l'actualité des actions de l'association, des témoignages vidéo de victimes, des informations sur les techniques agricoles alternatives respectueuses de l'homme et de l'environnement...