Portrait  : Daniel Lejeune et Bernard Krynen, copilotes du Coct

par Nathalie Quéruel / janvier 2010

Après des parcours quasi jumeaux, Bernard Krynen et Daniel Lejeune copilotent le Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct). Un équipage d'expérience pour relancer la dynamique sociale sur la prévention des risques professionnels.

C'est un tandem qui tient, depuis le 30 avril dernier, le gouvernail du nouveau Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct), instance qui a remplacé le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels et dont l'originalité est de réunir, dans un comité permanent, partenaires sociaux, experts de la prévention, associations de victimes et personnes qualifiées1 . Entre Bernard Krynen, vice-président, et Daniel Lejeune, secrétaire général, il y a plus d'un point commun. Tous deux âgés de 62 ans, ils ont commencé leur carrière en tant qu'inspecteurs du travail. " J'ai été très marqué par la grande grève des mineurs de 1963, confie Daniel Lejeune. J'ai choisi cette voie professionnelle par vocation, pour faire respecter et avancer les droits des travailleurs. " La même conviction animait son collègue, lui aussi diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris : " Je voyais dans l'Inspection du travail une fonction de transformation sociale, et notamment des conditions de travail des salariés. "

Directeur adjoint du Travail dans le Val-de-Marne, Bernard Krynen fait ensuite une plongée dans le monde syndical, en étant mis à disposition du service juridique de la CFDT. Après un passage par l'ENA, il devient en 1988 responsable du bureau de la négociation collective à la direction des Relations du travail (DRT), où il reste trois ans. De son côté, Daniel Lejeune opère un grand écart... géographique qui le mène du Nord-Pas-de-Calais au poste de directeur départemental du Travail de Haute-Corse, puis il occupe les fonctions de chef de bureau à la DRT de 1987 à 1995.

Cabinets ministériels

Les deux hommes partagent aussi une autre expérience : celle des cabinets ministériels. Le secrétaire général du Coct a été conseiller emploi et formation professionnelle auprès de la secrétaire d'Etat au Tourisme Michelle Demessine, entre 1997 et 1999. Bernard Krynen a, lui, goûté par deux fois cette " vie harassante ", d'abord comme conseiller chargé de la réglementation et des relations de travail au cabinet de la ministre du Travail et de l'Emploi Martine Aubry de 1991 à 1993, puis comme directeur adjoint dans l'équipe d'une autre ministre de l'Emploi socialiste, Elisabeth Guigou, en 2001. Enfin, l'un et l'autre sont membres de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).

Petite différence dans leurs parcours respectifs ? Bernard Krynen a fait une incursion dans le secteur privé. Il a été chargé de mission à la direction des ressources humaines d'Air France, puis DRH d'Air France Cargo (1995-1999), directeur des relations sociales de Thomson multimédia (1999-2000) et directeur associé du groupe de conseil en ressources humaines Altedia (2005-2008). Le fonctionnaire s'est frotté à l'autre côté du miroir : " C'est bien, en tant que syndicaliste, de prôner la rénovation sociale. Mais c'est encore mieux de s'y atteler concrètement. C'est ce que j'ai voulu réaliser en organisant les ressources humaines de façon plus intelligente dans des entreprises où de grands projets de changement étaient à l'oeuvre. "

Qu'ils se retrouvent à la tête du Coct peut donc sembler assez logique. D'autant qu'ils entendent s'appuyer sur leur expérience pour faire jouer à cette instance un rôle actif. Bon connaisseur de l'administration, mais aussi de l'univers syndical et patronal, Bernard Krynen veut mettre tout son poids dans la balance pour amener les partenaires sociaux à être davantage à la manoeuvre dans la protection de la santé au travail : " L'amélioration des conditions de travail n'avancera que si les acteurs ne sont pas à la traîne des initiatives de l'Etat, notamment réglementaires et législatives. Notre rôle est de faire du comité permanent un lieu où s'exprime l'intelligence collective. " Auteur du rapport de 2008 sur la traçabilité des expositions professionnelles, Daniel Lejeune pense que la façon dont il a conduit cette mission n'est pas étrangère à sa nomination : " J'ai beaucoup écouté les partenaires sociaux et... tenu compte de ce qu'ils exprimaient. Cela préfigure la manière dont nous voulons voir le Coct fonctionner : mettre la parole des acteurs en commun, les aider à dégager du consensus et à le porter. "

Une priorité : le plan santé-travail

Malgré cette ambition, les deux hommes reconnaissent que le programme de travail 2009 du comité permanent a pris du retard. La synthèse annuelle portant sur les évolutions des conditions de travail et de la prévention des risques professionnels est reportée en 2010. L'observatoire de la pénibilité n'a pas encore vu le jour : " Le thème de la pénibilité est aujourd'hui un peu préempté par le chantier sur la réforme des retraites, qui n'a pas vocation à être traité par l'observatoire ", commente le vice-président du Coct. Par la force des choses, le plan santé-travail 2010-2014 a concentré les priorités. Mais, faute de temps, les groupes de travail n'ont pu traiter que quelques sujets : amélioration des connaissances en santé au travail ; démarches de prévention dans les PME ; pilotage, suivi et évaluation de ce plan par le Coct. Les propositions ont été remises à la direction générale du Travail (DGT) le 15 décembre.

De ces premiers mois, le tandem dresse un constat : le manque de disponibilité des acteurs, notamment des partenaires sociaux, " soumis à une hypersollicitation "" Aux agendas sociaux déjà trop chargés s'ajoutent les impératifs de l'actualité, comme les suicides au travail ou l'échec des négociations sur la médecine du travail, qui entraînent une multitude d'initiatives, tant de la part du gouvernement que des parlementaires ", explique Bernard Krynen.

Avoir un impact comparable à celui du Conseil d'orientation des retraites, dont le Coct se veut le pendant en matière de santé au travail, ne se révélera pas chose aisée. Sans préjuger de ce que proposeront les groupes de travail comme sujets d'étude pour 2010-2011, Daniel Lejeune voit trois thèmes prioritaires : les facteurs stratégiques, managériaux et organisationnels des risques psychosociaux, la prévention de l'usure au travail et, enfin, la nécessité de redonner toute sa place à la prévention primaire. Bernard Krynen aimerait voir progresser la réflexion autour des restructurations et de la santé, ainsi que celle sur les filières de formation en santé au travail, afin de développer cette expertise.

Epreuve du feu

" Si on veut mener une politique ambitieuse décidée par les membres du Coct, note le vice-président, il faut des moyens humains et des crédits pour réaliser des études. A l'heure actuelle, on avance à petits pas. " Mais selon le secrétaire général, il ne suffit pas de déployer des moyens importants, si les membres ne trouvent pas assez de temps pour s'investir dans les groupes de travail : " Sinon, les chargés de mission vont faire à la place des partenaires sociaux, ce qui est justement ce que nous voulons éviter ! "

Le Coct s'apprête à passer l'épreuve du feu, avec la présentation du plan santé-travail par Xavier Darcos, prévue le 15 janvier. Pour Daniel Lejeune, la crédibilité de l'instance se joue là, dans une large mesure : " Si le plan intègre une bonne part des travaux du comité permanent, nous serons reconnus comme organisme collectif de réflexion. " Mais si la prise en compte est marginale, ce sera une coquille un peu vide...

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    Voir Santé & Travail n° 67, juillet 2009, page 16.

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