Qualité de vie au travail : un accord de principe

par Rozenn Le Saint / octobre 2013

Le récent accord national sur la qualité de vie au travail préconise, entre autres, de faciliter l'expression des salariés sur leur travail. Sans obligation de résultat. Un voeu pieux pour certains syndicats. Un début pour d'autres.

Entamée en septembre 2012, la négociation sur l'amélioration de la qualité de vie au travail et l'égalité professionnelle s'est conclue le 19 juin dernier par un compromis bancal. Le texte signé incite simplement à négocier des accords expérimentaux sur la qualité de vie au travail d'une durée de trois ans. Si des discussions peuvent être ouvertes sur ce thème dans les entreprises ou les branches, celles-ci n'ont aucune obligation de parvenir à un accord collectif. Au grand regret des syndicats FO et CGT, qui ont refusé de signer le texte. "Il ressemble davantage à une déclaration de bonnes intentions qu'à un accord national interprofessionnel, déplore Alain Alphon-Layre, qui a mené les négociations pour la CGT. Quand il n'y a pas de sanction, cela ne fonctionne pas. Avec l'expérience, nous savons d'avance ce qu'en fera le patronat. Ça n'ira pas très loin." Et de citer en exemples l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2008 sur le stress au travail, celui de 2010 sur le harcèlement et la violence au travail ou celui de 2004 consacré à l'égalité professionnelle.

Premier pas

Pour autant, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC ont accepté d'apposer leur signature aux côtés de celles du Medef, de l'UPA et de la CGPME, de manière à encourager un premier pas vers une valorisation de la qualité de vie au travail. "L'ANI pousse au dialogue social et évite que les injonctions réglementaires, telles que les négociations sur la pénibilité ou les seniors, soient traitées de façon séparée, en silo", souligne Henri Forest, représentant de la CFDT lors des négociations. Autre intérêt du texte, selon lui, "l'amélioration de l'environnement de travail et la mise en avant de services de garde d'enfants ou de conciergeries".

En revanche, impossible de nier les limites de l'exercice. "C'est un accord de méthode, qui ne s'impose pas de manière formelle. Il ne trouvera une déclinaison que dans les entreprises où le dialogue social est mûr, reconnaît Henri Forest. Il formalise ce qui existe déjà et, éventuellement, incite à aller plus loin pour les autres. Mais ce qui est écrit aujourd'hui servira de base pour ce qui le sera dans le futur." De fait, le texte repose sur des accords expérimentaux sur la qualité de vie au travail, déjà conclus dans certaines entreprises, comme le Crédit agricole, le groupe Thales ou La Poste. Il s'inspire aussi du chantier Tempo animé par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), qui consiste à regrouper les entreprises pour les aider à aboutir à des accords sur les seniors, l'égalité professionnelle ou la prévention de la pénibilité.

L'ANI aborde divers sujets, comme l'amélioration de la prise en charge des transports ou la question de l'aménagement des temps tout au long de la vie. Sur ce dernier point, il propose de faciliter "la prise en charge des personnes en difficulté dans la famille, comme les aînés, ou l'obtention de congés sabbatiques, afin que sur quarante et une années de carrière, des espaces de respiration soient accordés", signale Henri Forest. Mais, là encore, une meilleure conciliation des temps entre vies professionnelle et personnelle reste soumise à la bonne volonté des entreprises, et à des expérimentations aboutissant à sa mise en oeuvre effective.

Espaces de discussion

En définitive, la principale avancée de l'ANI concerne l'expression des salariés sur leur travail. Pour faciliter cette dernière, les entreprises sont incitées à créer des espaces de discussion entre les salariés partageant une même activité. Ces groupes de travail peuvent être animés, le cas échéant, par un référent métier ou un facilitateur, chargés de restituer l'expression des salariés à la hiérarchie. Celle-ci est également censée disposer d'un temps de présence lors des réunions de ces groupes de travail. Si la CGT salue la démarche, Alain Alphon-Layre regrette que des heures ne soient pas attribuées pour ces espaces d'expression : "Une réunion entre salariés et cinq heures en présence des managers par semestre, par exemple, les rendraient effectifs.""Ces espaces d'expression, se félicite de son côté Henri Forest, représentent des appuis donnés aux managers pour qu'ils aient les moyens d'être davantage en proximité avec leurs équipes et moins contraints par les indicateurs de performance de l'entreprise.Ils redonnent la parole aux salariés sur les éléments qu'ils souhaitent changer."

Pour Philippe Davezies, enseignant-chercheur en médecine et santé au travail, ces espaces d'expression pourraient "recréer du tissu social, lutter contre l'atomisation des salariés et la perte des repères qui permettent de reconnaître le travail bien fait". A condition que les entreprises forment du personnel à l'animation de ces groupes, afin de mettre l'accent sur la circulation des expériences et l'appropriation des métiers, via la mise en visibilité de l'activité déployée par les salariés. En revanche, selon le chercheur, "si l'objectif est seulement d'informer la hiérarchie des problèmes liés au travail, il y a peu de chances que cela fonctionne, puisque l'encadrement de terrain n'arrive pas à les faire remonter aux directions".

En savoir plus
  • Le texte de l'accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail est disponible sur le site de la CFDT : www.cfdt.fr