Quand le travail complique la grossesse

par Frédéric Lavignette / janvier 2011

Dominique Lafon, médecin toxicologue à l'Institut national de recherche et de sécurité, a coordonné une récente expertise collective sur les risques pour la grossesse liés au travail1 . Des risques qu'il juge insuffisamment connus.

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    Grossesse et travail. Quels sont les risques pour l'enfant à naître ?, par Dominique Lafon (dir.), EDP sciences, 2010.

Pourquoi avoir mené une expertise sur les risques auxquels sont exposées les salariées enceintes ?

Dominique Lafon : Nous avons voulu faire un point sur l'état des connaissances concernant l'impact des risques professionnels sur les grossesses.

Pour le moment, nous ne disposons pas de statistiques sur le nombre de grossesses problématiques du fait d'expositions professionnelles. Aucun outil de surveillance sur ces grossesses n'existe. En revanche, une étude montre que les trois quarts des salariées enceintes sont en arrêt avant leur congé maternité légal, sans qu'on sache pourquoi. Or le milieu de travail peut expliquer certains avortements spontanés, morts foetales, naissances prématurées, malformations ou retards de développement psychomoteur de l'enfant.

Quels sont les risques susceptibles de nuire à l'enfant et à sa mère ?

D. L. : Le risque lié aux produits chimiques est l'un de ceux dont on parle le plus actuellement. Le travail de nuit et le travail posté sont aussi susceptibles d'augmenter le nombre d'avortements spontanés ou d'accouchements prématurés.

D'autres risques, tels que l'exposition au bruit, sont moins connus. Pourtant, à partir de la 25e semaine, le foetus peut être par exemple victime d'hypoacousies en cas d'exposition importante aux basses fréquences. Or ces bruits-là ne sont pas retenus dans la réglementation professionnelle actuelle. Pour ce qui est de la mère, la grossesse favorise l'apparition de troubles musculo-squelettiques ou de lombalgies.

Quelles sont les salariées les plus exposées ?

D. L. : Deux catégories de salariées sont particulièrement exposées. La première d'entre elles regroupe les salariées précaires. Très souvent, celles-ci cachent leur grossesse le plus longtemps possible, de peur de perdre leur emploi. De ce fait, elles se mettent en danger si elles exercent une activité où les expositions à risque sont importantes. L'autre catégorie est celle des salariées des PME-TPE, où l'évaluation des risques est moins bien appréhendée que dans les grandes entreprises. Certaines professions multiplient les expositions. Les infirmières, anesthésistes ou aides-soignantes, par exemple, travaillent debout en permanence, parfois de nuit, dans des situations de stress. Soumises à une manutention avec port de charges, certaines sont aussi exposées à des risques biologiques et à des produits chimiques tels que les traitements anticancéreux, les anesthésiques ou des médicaments spécifiques.

La réglementation est-elle adaptée ?

D. L. : Certaines dispositions du Code du travail, en particulier sur le travail de nuit, permettent un aménagement du temps de travail. Dans le même sens, plusieurs textes tentent de prévenir les risques liés à certains produits chimiques. Ils recommandent notamment d'écarter les femmes enceintes des produits reconnus comme toxiques pour la reproduction. Mais ces recommandations ne concernent que les produits de catégories 1 et 2, selon l'ancienne classification, et non pas ceux de catégorie 3, pour lesquels il y a pourtant des doutes1 . Les textes n'évoquent pas non plus tous les produits qui n'ont jamais fait l'objet de tests. Or ces produits représentent près de 90 % des substances chimiques utilisées en milieu professionnel.

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    Les produits toxiques de catégorie 1 ou 2 sont ceux ayant un effet avéré ou fortement présumé sur l'homme. Ceux de catégorie 3 sont préoccupants en raison d'un effet possible, mais ne sont pas classés en catégorie 2 faute d'informations suffisantes.