Muriel Pénicaud - © Benanteur-Dahmane
Muriel Pénicaud - © Benanteur-Dahmane

Regain de tensions entre l’Inspection du travail et l’exécutif

par Clotilde de Gastines / 18 novembre 2019

Le torchon brûle entre les inspecteurs du travail et leur ministre, Muriel Pénicaud. Après plusieurs passes d’armes, c’est une consigne pour remplir des objectifs chiffrés de contrôles sur le travail détaché qui a déclenché une grève en Auvergne-Rhône-Alpes.

La tension est montée d’un cran ces derniers jours entre l’Inspection du travail et son ministère de tutelle. Les agents de contrôle s’insurgent en effet contre une « consigne » venue de la ministre du Travail leur demandant de « différer tous leurs contrôles habituels hors situation de danger grave et imminent et enquête d’accident du travail grave ou mortel » pour se concentrer sur les procédures liées au travail détaché.
Dans un article paru vendredi dernier et intitulé « Travail détaché : l’inspection du travail s’indigne d’une consigne de l’exécutif », Mediapart a relaté comment, le 6 novembre dernier, Antoine Foucher, directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, a fait passer cette consigne aux directeurs des Direccte1 lors d’une visio-conférence.
Le gouvernement s’est lancé dans cette affaire parce que l’objectif de contrôle 2019 n’est pas atteint. Sur les 24 000 contrôles demandés, et pensés comme « la première priorité » assignée à l’Inspection du travail, il en « manquait » encore 7 000 début novembre.

Prochaine révision de la directive sur le travail détaché

Dans son argumentaire, le ministère met en avant l’importance des enjeux associés aux discussions européennes en cours pour la révision de la directive européenne relative à la coordination des régimes de sécurité sociale, dont un point vise à établir des procédures plus claires en matière de coopération entre les autorités afin de faire face aux pratiques potentiellement déloyales ou abusives du travail détaché.
Ces objectifs chiffrés paraissent pourtant peu justifiés pour les agents, car « le nombre de procès-verbaux qui découle de ces dizaines de milliers de contrôles est infime », constate Pierre Mériaux, du SNU-FSU Rhône-Alpes. Seulement « 163 en 2016 et 166 en 2017 et en 2018 », dit le rapport d’information du Sénat intitulé L’inspection, un modèle à renforcer et daté du 25 septembre dernier. Selon Pierre Mériaux, « le fossé sidérant entre le nombre de visites et le nombre de PV tient au fait que l’administration ne poursuit quasiment jamais les employeurs au pénal ». Voire les dédouane, comme le révèle ce matin le quotidien Libération en montrant comment une intervention directe de Muriel Pénicaud en faveur d’un chef étoilé du Sud de la France a permis à ce dernier d’échapper pour le moment à une forte amende infligée par un contrôle de l’Inspection du travail.

Rupture du dialogue

Les tensions montent d’ailleurs depuis plusieurs mois entre le ministère du Travail et le corps de l’Inspection. Les auteurs du rapport, Sophie Taillé-Polian (sénatrice du Val-de-Marne) et Emmanuel Capus (sénateur du Maine-et-Loire), insistent même sur la persistance d’un malaise social depuis 2009 et constatent une rupture du dialogue avec la direction générale du Travail (DGT). Leur enquête a « démontré une véritable défiance à l'égard de la direction générale du Travail, comptable des réformes engagées depuis 2009 et jugée incapable de répondre aux inquiétudes des agents de contrôle ». Les auteurs recommandent d’ailleurs au ministère de « rassurer des agents de contrôle qui peuvent sembler pris dans des injonctions contradictoires entre la nécessaire atteinte des objectifs nationaux et la réduction des effectifs ».
« On a perdu 15 % de nos effectifs en quatre ans, et Muriel Pénicaud nous a annoncé la suppression de 200 postes d’ici 2022, déplore Pierre Mériaux. En parallèle, le ministère nous pousse à remplir des objectifs chiffrés, ce n’est pas notre vision du service public, on voit bien à quoi cela mène dans la police. »

Absence de soutien de la hiérarchie

Les auteurs du rapport du Sénat estiment que « cette tension est, de surcroît, renforcée par une série de cinq suicides et dix tentatives de suicides qui ont affecté l'Inspection du travail depuis 2017 », ainsi que par « l'agression d'inspecteurs du travail dans l'exercice de leurs missions ». Ils concluent que « les organisations professionnelles ont, dans ce contexte, le sentiment que la hiérarchie ne les soutient pas suffisamment et que l'intensité de leur travail n'est pas reconnue ». Et ce n’est pas le désaveu public, par Muriel Pénicaud, des inspecteurs du travail ayant rappelé à l’ordre la direction de la SNCF à propos de son interprétation restrictive du droit de retrait, qui est de nature à apaiser les tensions.
A Villeurbane, des dizaines d’inspecteurs du travail de la région Rhône-Alpes font donc grève ce lundi 18 novembre et occupent le Pôle travail pour contester cette obligation d’« atteindre leurs objectifs régionaux de 1269 contrôles d’ici la fin de l’année ». Ils ont convié leur directeur régional qui leur avait donné rendez-vous à la tour Swiss Life de la Part-Dieu, à Lyon. En Occitanie et dans la Vienne, les agents font une grève du zèle depuis plusieurs mois et refusent de remplir les tableaux statistiques de leurs contrôles.
  • 1Directions régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi.