Régimes spéciaux : un peu d’équité n’aurait pas nuit

par François Desriaux / 13 novembre 2007

Plusieurs études récentes montrent que les retraités précoces de la fonction publique et des entreprises publiques ont été exposés à des facteurs de pénibilité dans leur travail. La réforme des régimes spéciaux était une bonne occasion pour le gouvernement de tenir compte de ce facteur pour réduire les écarts d’espérance de vie… Raté !

L'injustice a bon dos ! En affirmant que l'injustice la plus criante aujourd'hui dans le monde du travail, ce sont les régimes spéciaux de retraite et affichant son empressement à entreprendre ce chantier de réforme promis dans la campagne électorale, le Premier ministre a tout juste satisfait la partie de l'opinion publique toujours prompte à considérer qu'électriciens et autres cheminots sont des nantis. Pour le reste, c'est précisément sur la question de l'équité que l'on peut reprocher au gouvernement d'avoir failli dans la conduite de ce dossier.

Sans doute, le chef du gouvernement n'a-t-il pas pris connaissance des résultats de l'étude de la Dares intitulée Pénibilité du travail et sortie précoce de l'emploi, présentée lors d'un colloque sur « Age et travail » en mars dernier et dont la publication serait imminente. Ces travaux, menés à partir de l'enquête Santé 2002-2003 de l'Insee, démontrent que si les retraités précoces (avant 60 ans) viennent en effet majoritairement de la fonction publique ou des entreprises publiques, ils ont, beaucoup plus que les pré-retraités du privé, été soumis au cours de leur carrière à de longues périodes de travail posté ou de nuit, ou d'exposition aux intempéries... Leur départ précoce en retraite ne serait donc pas totalement illégitime si l'on se réfère au principe selon lequel la pénibilité des conditions de travail devrait être pris en compte dans la détermination de l'âge de départ en retraite. Un principe inscrit dans la loi... Fillon sur la réforme des retraites voté par le parlement en 2003 et sur lequel les partenaires sociaux devaient négocier dans un délai de trois ans ! Si les négociations n'ont pas débouché pour le secteur privé - en raison notamment du peu d'empressement du patronat à voir cette négociation aboutir - la réforme des régimes spéciaux était une excellente occasion pour le gouvernement de débloquer ce dossier, en engageant avec les organisations syndicales les discussion sur ce sujet, là où l'Etat est employeur.

Le président de la République lui-même avait semblé partager ce point de vue en affirmant, le 11 septembre à Rennes, qu'il fallait distinguer parmi les régimes spéciaux certains métiers pénibles mais que ce n'était pas le cas de tous les régimes spéciaux... Malheureusement, la suite de la négociation entre le ministre du Travail et les organisations syndicales a montré que ce n'était qu'une formule et non un axe majeur de la réforme. Ce faisant, il oublie une injustice autrement plus criante que celle décriée par le Premier ministre : l'inégalité d'espérance vie selon les parcours professionnels.

Le Conseil d'orientation des retraites a produit plusieurs travaux de qualité étayant de manière solide les expositions professionnelles à prendre en compte pour compenser la perte d'espérance de vie ou d'espérance de vie sans incapacité.

Selon que l'on a été exposé durablement à des produits cancérogènes, que l'on a travaillé pendant sa carrière en horaires alternants ou de nuit, que l'on a subi de façon répétée des contraintes posturales fortes, des ports de charges lourdes, des cadences, la retraite risque fort de n'avoir ni la même durée, ni la même qualité. Une fin de vie sous assistance respiratoire ou percluse d'arthrose au point de ne plus pouvoir se déplacer seul n'a pas la même saveur que l'image donnée par les agences de voyages spécialisées dans le troisième âge !

Mais l'équité ne s'apprécie pas seulement à l'aulne des années de bonification accordées pour des conditions de travail pénibles. Il serait particulièrement injuste, scandaleux même, que l'on exige des salariés des années de cotisations supplémentaires, alors même qu'une partie d'entre eux sont écartés de leur emploi à cause de leurs problèmes de santé ou en raison du déclin de leur capacités avec l'âge... Or, l'enquête de la Dares citée plus haut montre aussi que l'emploi des seniors est souvent fragilisé par des problèmes de santé. Ainsi, la mauvaise santé multiplie par 2,8 la probabilité d'être évincé de l'emploi.

Une autre enquête, menée par le Créapt également en 2003, auprès de 11 000 salariés de plus de 50 ans, montre quant à elle qu'après cet âge, une majorité des salariés encore en emploi présente des troubles de santé, voire des pathologies graves. Par exemple, selon cette enquête, plus du quart des femmes et 22 % des hommes travaillaient en ayant une pathologie rhumatologique considérée comme grave par leur médecin du travail. Or, il est loin d'être évident que les entreprises, privées ou publiques, sont prêtes à consentir les efforts nécessaires d'aménagement des postes et de l'organisation du travail pour maintenir ces salariés vieillissants dans l'emploi. Le gouvernement n'aura d'autre choix de mettre au point des mécanismes incitatifs et sans doute coercitifs pour les y inciter. Faute de quoi, selon le principe des vases communicants, l'équilibre retrouvé des régimes de retraite pourrait provoquer le creusement des déficits pour le chômage et l'invalidité.