La responsabilité sociale des entreprises à petits pas

par Clotilde De Gastines / 16 mars 2015

Les grandes marques ont traîné les pieds pour indemniser les victimes de la catastrophe du Rana Plaza. Et voilà que les députés préfèrent restreindre une proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales à l’égard de leurs sous-traitants.

Le 30 mars prochain, l’Assemblée nationale examinera une proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales à l’étranger en matière sociale, éthique et environnementale. Ce texte est censé responsabiliser les entreprises donneuses d’ordres vis-à-vis de leurs sous-traitants pour éviter notamment que ne se reproduisent des catastrophes comme celle du Rana Plaza, au Bangladesh, qui, il y a bientôt deux ans, causa la mort de 1 129 ouvrières et ouvriers d’une usine textile, sous-traitante de grandes marques internationales. Mais l’histoire de cette proposition de loi est aussi chaotique que l’aura été l’indemnisation des victimes du Rana et de leurs familles.

Le poids de l’Association française des entreprises privées

Six mois après le drame et un an après le début de leurs travaux, trois parlementaires, Danielle Auroi, députée écologiste du Puy-de-Dôme et présidente de la Commission des affaires européennes, Dominique Potier, député socialiste de Meurthe-et-Moselle, et Philippe Nogues, lui aussi député socialiste et président du groupe d’études sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE), ont bouclé une première proposition de loi. Ce projet, fruit d’un travail minutieux et de multiples auditions, a reçu l’approbation de 250 ONG et organisations syndicales.

Il est déposé par l’ensemble des groupes parlementaires de gauche, mais il ne soulève pas l’enthousiasme du gouvernement, sensible aux arguments de la puissante Association française des entreprises privées (Afep). Malgré un courrier de la Coalition européenne pour la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (ECCJ) adressé à plusieurs députés français pour appelant ceux-ci à voter cette loi, la proposition est finalement rejetée le 29 janvier dernier et renvoyée en commission.

Seulement 150 entreprises concernées

Le groupe socialiste, seul cette fois-ci, dépose alors à la va-vite un nouveau texte édulcoré, présenté à la presse le 13 février. Les entreprises seront responsables au civil mais plus au pénal, comme envisagé dans la première proposition. Elles auront l’obligation juridique d’établir un plan de vigilance et d’analyse des risques. En cas de dommages, elles encourront une amende et le juge pourra exiger l’indemnisation des victimes, mais encore faudra-t-il que celles-ci apportent la preuve de la faute de l’entreprise.

Seulement 150 entreprises ayant plus de 5 000 salariés en France seront concernées, ce qui, pour Danielle Auroi, revient à exonérer un grand nombre de sociétés. « La plupart des entreprises qui faisaient travailler des sous-traitants dans l’immeuble du Rana Plaza ne seraient pas concernées par ce nouveau texte », a-t-elle fait observer. Les ONG souhaitent d’ailleurs faire abaisser le seuil à 500 salariés.

Des avancées plus symboliques qu’efficaces ?

Le texte est amendé en commission : la société mère aura un devoir de vigilance envers les sous-traitants et fournisseurs « avec qui elle a une relation commerciale établie », explique Mathilde Dupré, chargé de plaidoyer RSE au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)-Terre solidaire. Ce qui laisse toutefois planer le doute si l’entreprise passe par un importateur (comme Auchan) ou par licence de marque ou franchise...

Reste que l’essentiel des dispositions contraignantes sera surtout défini par décret. Le peu d’empressement du gouvernement à défendre un texte réellement contraignant, y compris en termes de responsabilité solidaire entre les entreprises sous-traitantes et les donneurs d’ordres pour l’indemnisation d’éventuels dommages, laisse craindre des avancées plus symboliques qu’efficaces.

 Le travail au noir à la barre

Le procès du travail au noir sur le chantier du réacteur nucléaire de Flamanville s’est achevé le 13 mars, à Cherbourg. « L’EPR [réacteur pressurisé européen, NDLR] est devenu un laboratoire européen du travail illégal », constatait un inspecteur de l’Autorité de sûreté nucléaire dans Le Monde du 12 mars. Pas moins de 460 ouvriers roumains et polonais ont travaillé en 2008 et 2011 sans couverture santé, pour des salaires inférieurs à la convention collective et sur des durées hebdomadaires de travail illégales. Le taux d’accidents du travail était quatre fois supérieur à la moyenne. Les blessés étaient renvoyés en Pologne, où ils n'avaient souvent pas de couverture médicale, faute de cotisations ; l’employeur pouvait payer la facture directement sans passer par la Sécurité sociale.

Sur le banc des accusés figurent Bouygues TP et Quille, filiales de Bouygues Construction, ainsi que Welbond Armatures, aux côtés de leur sous-traitant, l’entreprise roumaine Elco Construct, en l’absence de la société d’interim Atlanco Limited, qui a disparu.

Coup d’arrêt sur le préjudice d’anxiété

Le 3 mars dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt sur la réparation du préjudice d’anxiété qui a sans doute rassuré les employeurs et la Sécurité sociale. Cet arrêt restreint en effet la reconnaissance de ce préjudice aux personnes exposées à l’amiante dont l’établissement est inscrit sur une liste ouvrant droit à la préretraite (Acaata), ce qui exclut donc les salariés travaillant dans d’autres établissements. Reste à savoir ce qu’il en sera pour les expositions à d’autres produits cancérogènes. Ainsi, un millier de dossiers d’anciens mineurs sont pendants devant les conseils de prud’hommes. Réponse sans doute dans un prochain arrêt de la Haute Juridiction.

De simples bleus de travail contre les pesticides ?

C’était l’une des recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et c’est le projet du ministère du Travail de donner un statut d’équipement de protection individuelle (EPI) aux bleus de travail en coton polyester déperlant destinés à protéger les utilisateurs de pesticides. Chargée de définir la norme sur les caractéristiques minimums de ces futurs EPI, l’Association française de normalisation (Afnor) a lancé une enquête publique qui a été clôturée le 12 mars. Pour l’ergonome Alain Garrigou, maître de conférences à l’université de Bordeaux et spécialiste des expositions aux pesticides, les niveaux de protection de la future norme sont définis de manière insatisfaisante, trop floue, trop subjective. L’étude ne décrit pas les essais de performance et occulte le fait que les produits, une fois dilués, passent facilement au travers du vêtement.

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