Risques psychosociaux : le travail en analyse chez les psys

par Nathalie Quéruel / juillet 2010

De plus en plus sollicités par des salariés en souffrance, psychiatres et psychanalystes commencent à intégrer la question du travail dans leur pratique professionnelle. Non sans difficulté.

La souffrance au travail fait de plus en plus irruption dans les cabinets des psychiatres et des psychanalystes. Au risque d'en déconcerter certains. " Rien dans ma formation ne m'y a préparée, relate Ségolène Marti, psychiatre au Centre de thérapies brèves de Vénissieux (Rhône). Cette année, avec l'équipe, nous avons décidé d'échanger avec des spécialistes et de lire des ouvrages de psychologie du travail pour mieux comprendre les enjeux psychiques au travail. " Comment prendre en charge les gens qui s'effondrent parce que cela ne va pas dans leur boulot ? Le sujet bouscule les praticiens du soin psychique. " Le concept de santé mentale, qui inclut la souffrance au travail, est assez récent, explique Jean-Michel Royer, psychiatre au centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours. Notre fonction est de donner un champ d'expression au patient et, pour cela, il faut disposer de plusieurs grilles de lecture, dont celle du travail. " Cette année, dans son service, un séminaire de formation destiné aux étudiants, internes et infirmiers en psychiatrie est consacré... au travail. Une porte qui s'ouvre sur des disciplines comme la psychodynamique du travail.

Echapper à la victimisation

La tâche s'avère doublement délicate pour les psys. Peu de chose dans leur itinéraire les amène sur ce terrain. Jean-Luc Houbron, psychanalyste à Paris, rapporte une anecdote emblématique : " Au cours d'un groupe de contrôle, un de nos pairs déplorait qu'une de ses patientes ne parle que de son travail, y voyant la preuve d'une résistance à parler d'autre chose. Or, quand on connaît la centralité du travail, on ne peut penser que celui-ci fait écran. " L'autre obstacle tient à la difficulté qu'ont les salariés à rendre compte de la réalité de leur travail. Ils le font souvent sur un mode régressif, celui des conflits. Psychiatre à l'hôpital de Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), Gabrielle Arena observe que beaucoup se déclarent victimes de harcèlement moral et viennent chercher un certificat attestant qu'ils sont bien malades : " Nous ne sommes pas là pour prendre parti ou faire régner l'équité sociale. Il faut sortir de la plainte, écouter sans tomber dans la victimisation. " Brigitte Font Le Bret, psychiatre à Grenoble, propose aux salariés en souffrance non une psychothérapie, mais des entretiens de soutien : " Les patients abordent souvent le travail par ce qui va mal dans les relations interpersonnelles. Dépasser ce premier stade nécessite de connaître l'ergonomie, la psychopathologie du travail. Pour reconstruire du sens, il convient de décortiquer avec eux les "boulons" de leur activité au quotidien. "

Pour Philippe Bichon, psychiatre à la clinique de La Borde dans le Loir-et-Cher, avoir une culture sur les processus psychodynamiques mis en jeu au travail permet justement de ne pas tomber dans la dualité victime/bourreau : " Il est plus constructif pour le patient de saisir les conditions dans lesquelles il a décompensé, ce qui l'aidera à penser son mode d'investissement dans le travail d'une autre façon. " Le conforter dans un statut de " malade ", avec l'enchaînement qui peut suivre - prescriptions médicamenteuses, arrêt maladie longue durée, invalidité psychiatrique, licenciement pour inaptitude... -, rend plus difficile ce questionnement. " Se contenter d'affirmer que c'est le travail qui vous a rendu fou appartient au champ de l'expertise et non du soin, estime Lise Gaignard, psychanalyste à Tours. Le soin demande une investigation réflexive du mode d'engagement au travail du patient, afin qu'il puisse reprendre la main sur son destin. "