Des rythmes soutenus et plus de tension

par Milène Leroy / avril 2012

Les tout premiers résultats de l'enquête Sumer viennent d'être publiés par le ministère du Travail. L'intensité du travail reste stable, mais les tensions augmentent. Quant aux expositions aux produits chimiques, elles diminuent.

Les dernières éditions (1994 et 2003) de l'enquête Sumer (pour " Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels ") avaient été marquées par l'intensification du travail et le recul des expositions aux contraintes physiques. La nouvelle livraison de l'enquête pilotée par le ministère du Travail - dont les premiers résultats, publiés le 16 mars, ne portent que sur le secteur privé - montre une stabilisation de ces deux types de contraintes entre 2003 et 2010. On retiendra toutefois que cette stabilisation se fait à un niveau élevé. Ainsi, la proportion de salariés déclarant devoir fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre non prévue régresse légèrement entre 2003 et 2010 : 56 %, contre 58 % lors de l'édition 2003 de Sumer.

Repères

L'enquête Sumer a été menée en 1994, 2002-2003 et 2009-2010 sous l'égide de la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares), du ministère du Travail. Les données de la dernière édition ont été recueillies par 2 400 médecins du travail auprès de 48 000 salariés du secteur privé, des hôpitaux publics d'Etat et d'une partie de la fonction publique d'Etat et des collectivités territoriales, soit un échantillon représentant 22 millions de salariés (dont 17 millions du privé).

Fait nouveau de ce cru 2010, l'autonomie des salariés les plus qualifiés, et notamment des cadres, recule. Le manque d'autonomie est l'un des facteurs de risque psychosocial au travail. " Après s'être développées entre 1994 et 2003, les marges de manoeuvre tendent plutôt à se stabiliser sur la dernière période, écrivent les auteurs. [...] Au-delà de cette stabilité d'ensemble, les cadres et les professions intermédiaires connaissent un recul de leurs marges de manoeuvre, au contraire des ouvriers qui progressent en autonomie. " Autre constat, si la " latitude décisionnelle " baisse globalement de 1 % entre 2003 et 2010, elle chute de 3 % pour les cadres et les professions intermédiaires, alors qu'elle augmente légèrement pour les ouvriers. " Ce constat rejoint les études de terrain sur le travail des cadres, montrant qu'il est de plus en plus soumis à des normes et des prescriptions strictes ", peut-on lire dans le document. Par ailleurs, les cadres sont toujours défavorisés sur le volet du temps de travail : si les durées longues de travail reculent dans le secteur privé, avec 18 % seulement de salariés qui travaillent plus de 40 heures par semaine, près de la moitié des cadres dépassent cet horaire. Plus globalement, les auteurs notent un net accroissement de la proportion de salariés en situation de tension au travail, c'est-à-dire confrontés à la fois à une forte demande psychologique et à une faible latitude décisionnelle.

En revanche, les salariés se plaignent moins fréquemment en 2010 qu'auparavant de ne pas avoir les moyens de faire correctement leur travail. Il s'agit, par exemple, du fait de disposer des informations nécessaires, d'être formé et d'être entouré de suffisamment de collègues. En toute logique, ces salariés devraient donc être moins souvent la cible de comportements hostiles, puisque ces facteurs étaient fortement corrélés en 2003. Or ce n'est plus le cas : si 16 % des salariés étaient concernés par ces comportements en 2003, ils sont désormais 22 % (voir graphique ci-dessus). Une augmentation aussi importante que paradoxale, qui laisse penser que d'autres facteurs sont intervenus.

Prévention du bruit : encore un effort !

Sur le volet des contraintes physiques, il y a, là aussi, une stabilisation entre 2003 et 2010. Mais ces contraintes avaient diminué entre 1994 et 2003. En 2010, une proportion importante des salariés, de quelque 40 %, est soumise à au moins une contrainte physique, qu'il s'agisse du bruit, de la station debout et du piétinement, de la manutention manuelle de charge ou, enfin, de contraintes posturales.

A noter que, concernant l'exposition sans protection à un niveau de bruit supérieur à 85 décibels plus de 20 heures sur une semaine, le taux de salariés exposés est passé de 2 % en 1994 à 1 % en 2010. " L'effort de prévention doit être poursuivi, puisque 1 % des salariés ne sont pas protégés malgré une exposition à des niveaux de bruit qui entraînent à coup sûr des lésions ", soutient Bernard Arnaudo, médecin-inspecteur du travail en région Centre. A un niveau de bruit moindre, " entre 60 et 80 décibels, donc en dessous des normes, il existe tout de même une fatigabilité et un risque accru d'accident du travail ", ajoute-t-il.

Faut-il le rappeler, les contraintes physiques peuvent entraîner des tendinites de l'épaule, du coude ou du poignet, des hernies discales ou, pour les stations à genoux, des hygromas, une pathologie articulaire caractéristique des carreleurs et des couvreurs. Avec l'allongement des carrières, dû au recul de l'âge de départ à la retraite, la station debout prolongée peut aussi rendre certains métiers très pénibles pour les salariés vieillissants.

Une bonne nouvelle enfin : l'exposition aux produits chimiques a diminué depuis 2003. En 2010, un tiers des salariés du secteur privé a été exposé à au moins un produit chimique, ce qui représente tout de même 5,6 millions de personnes. " Cette proportion a diminué de plus de 3 points entre 2003 et 2010, revenant globalement au niveau de 1994 ", observent les auteurs de l'enquête. Jean-Denis Combrexelle, directeur général du Travail, se félicite de ces premiers résultats : " Même s'il faut rester prudent et attendre des exploitations ultérieures des données, notamment sur les produits CMR [cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, NDLR], cela semble indiquer que les réglementations sur la protection des salariés face aux expositions aux risques chimiques et la politique de contrôle que nous avons menée avec la Cnam et l'INRS1 portent leurs fruits. "

Cocktails d'expositions pour les ouvriers qualifiés

" Cependant, pour les professions les plus exposées (employés de commerce et de service, ouvriers), l'exposition à un produit chimique reste plus élevée en 2010 qu'en 1994 ", nuancent les auteurs de l'enquête. Pour les ouvriers, 60 % sont exposés à au moins un produit et ce chiffre dépasse tout de même les 40 % pour les employés de commerce et de service. Quand on regarde les cocktails d'expositions, les ouvriers qualifiés décrochent le titre toutes catégories, avec plus de 30 % d'entre eux qui déclarent avoir été exposés à au moins trois produits chimiques au cours de leur dernière semaine de travail. Seuls les apprentis affichent un niveau encore supérieur. " Cela s'explique par le fait que le jeune apprenti se voit confier des tâches comme le dégraissage et le nettoyage de pièces, qui sont les plus simples ", indique Martine Léonard, médecin-inspecteur du travail en Lorraine.

Outre les progrès de la réglementation (décret CMR de 2001 et décrets agents chimiques de 2003), l'évolution de la jurisprudence a aussi pu créer un réflexe de la part des entreprises : elles mettent en oeuvre la prévention pour éviter de futures procédures pour faute inexcusable.

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    Cnam : Caisse nationale d'assurance maladie. INRS : Institut national de recherche et de sécurité.

A lire
  • " L'évolution des risques professionnels dans le secteur privé entre 1994 et 2010 : premiers résultats de l'enquête Sumer ", par B. Arnaudo, M. Léonard, N. Sandret, M. Cavet, Th. Coutrot, R. Rivalin, Dares Analyses n° 23, mars 2012. Disponible sur www.travail-emploi-sante.gouv.fr