"La santé de l'indépendant est aussi celle de son entreprise"

par Anne-Marie Boulet / janvier 2014

Si les conditions de travail des indépendants sont analogues à celles des salariés, leur santé, vitale pour leur entreprise, serait meilleure. Explications de Sylvie Célérier, qui a coorganisé en septembre un colloque sur le sujet.

Qu'est-ce qui caractérise, en termes de santé au travail, le travailleur indépendant ?

Sylvie Célérier : Les travailleurs indépendants représentent un groupe très hétérogène, dont la composition va des professions libérales - médecins, avocats... - aux agriculteurs, en passant par les artisans et commerçants et les petits entrepreneurs, très souvent sous-traitants de plus grosses entreprises. C'est aussi un groupe plus masculin que la moyenne des salariés et également plus âgé. Donc, a priori, devant déclarer davantage de pathologies. Or, quand on interroge les indépendants sur leur santé, ils s'estiment toujours en meilleure santé que les salariés.

Le statut d'indépendant jouerait donc favorablement sur les conditions de travail mais aussi sur la santé. Pourquoi ?

S. C. : Concernant les conditions de travail, c'est le métier exercé qui va jouer et non le statut. Un chaudronnier, par exemple, sera exposé aux mêmes risques, va effectuer les mêmes opérations et sensiblement dans les mêmes conditions en tant qu'artisan ou salarié d'une entreprise. En revanche, pour ce qui est de la santé, le statut va beaucoup jouer. C'est flagrant pour les arrêts de travail. Les indépendants s'arrêtent beaucoup moins que les salariés. Ils n'ont pas tout à fait les mêmes droits. Le régime général est plus intéressant, même si les différences tendent à s'estomper. Mais, surtout, l'arrêt n'a pas les mêmes implications. Quand il s'arrête, un indépendant stoppe aussi les relations avec ses réseaux. Si l'arrêt se prolonge, il va perdre des clients. La dimension économique devient inextricable de la bonne santé. La santé de l'indépendant, c'est aussi celle de son entreprise. Et ce, quel que soit son métier. Du coup, les inégalités de santé observées chez les salariés entre cadres et non-cadres ne se retrouvent pas chez les indépendants. Les professions libérales - pendant des cadres - développent de nombreuses pathologies chroniques. De l'autre côté, les artisans ou exploitants agricoles ne sont pas en moins bonne santé.

Cette imbrication entre santé économique de l'entreprise et santé physique n'a-t-elle pas un impact néfaste sur cette dernière ? Comment se pose, dans ce contexte, la question de la prévention des risques ?

S. C. : Bien sûr, cela peut jouer négativement. Les indépendants consultent très peu les médecins et consomment très peu de médicaments. On peut supposer que ces comportements génèrent des retards de soins. Quand la maladie intervient brutalement, les conséquences sont souvent dramatiques, économiquement. Une part d'entre eux possède de petits revenus. Leur niveau de protection sociale, qui dépend du revenu, est très variable. Mais ce statut d'indépendant peut parfois jouer favorablement. Ainsi, pour un traitement lié à une maladie chronique, il n'est pas obligé, comme un salarié, de fournir des explications sur ses absences et peut programmer ses rendez-vous professionnels en fonction de son état de santé du moment.

En ce qui concerne la prévention, l'indépendant est à la fois employeur et employé et doit assurer et assumer sa propre protection. Contrairement au salarié, puisque l'employeur est maître des actions de prévention. Chez les indépendants travaillant en famille, l'amélioration des conditions de travail est souvent motivée par le souci de la santé de l'autre, même si les investissements consentis pour cette amélioration sont, eux, toujours assujettis à un accroissement de la performance économique.