Sécurité aérienne et levée du secret médical

par Dominique Huez / 02 avril 2015

Le crash de l’A320, le 24 mars, a été provoqué par le geste suicidaire du copilote. Faut-il pour autant, au nom de la sécurité aérienne, lever le secret médical ? Non, soutient fermement Dominique Huez, ancien médecin du travail en centrale nucléaire.

Le crash de l’Airbus A320 qui a causé la mort de 150 personnes le 24 mars dernier a été expliqué par une décompensation psychopathologique du copilote. Beaucoup de commentateurs et d’experts affirment depuis que la levée du secret médical serait la panacée pour prévenir de tels drames. Il n’en est rien : le remède serait pire que le mal, avec des effets dévastateurs multiples.

Est-il possible à un médecin du travail d’agir ?

Oui. Il peut émettre des préconisations d’aménagement du poste de travail opposables à l’employeur. Il peut également déclarer une « inaptitude temporaire au travail » du salarié ; il adresse alors ce dernier à un médecin de soins pour prise en charge médicale urgente. Dans ce cadre, le travailleur, qui plus est s’il est en « surveillance médicale renforcée » – comme c’est le cas pour un pilote de ligne –, ne pourra reprendre le travail qu’avec l’aval du médecin du travail et dans les conditions qu’il aura préconisées. A noter que le salarié ou l’employeur peuvent contester les préconisations du médecin du travail.

Le médecin du travail peut-il être au courant d’une décompensation médicale d’un travailleur ?

Oui, si le médecin du travail a construit avec le salarié une relation de confiance – base de toute relation médicale –, fondée sur le respect du secret médical et renforcée par une pratique clinique de suivi personnel dans le temps. Cette pratique est garantie réglementairement par l’objet même de la médecine du travail : l’action dans l’intérêt exclusif de la santé du salarié. Lorsque la pratique médicale respecte ces fondamentaux, le médecin du travail pourra être informé d’éventuelles difficultés relatives à la santé du travailleur, que ce soit par l’intéressé lui-même, par des collègues inquiets, ou encore par la hiérarchie de proximité. Toutefois, lorsque les conditions d’emploi des personnels sont basées sur un fort taux de turn-over, des rotations d’équipes ou une concurrence exacerbée qui empêchent la formation de véritables collectifs de travail, cela ne facilite pas un climat de confiance propice à ces signalements bienveillants.

Le médecin pourra rencontrer le salarié de sa propre initiative. Il ne rendra pas compte aux collègues ni à la hiérarchie de son action proprement médicale. Il agira en engageant sa responsabilité par écrit. S’il estime que l’appréciation du salarié sur sa santé est empêchée par son état psychiatrique, il pourra établir des préconisations médicales, opposables à l’intéressé et à l’employeur (et contestables par ces derniers).

De nombreux médecins du travail ont rencontré des situations de décompensation de maladie maniaco-dépressive sur un mode délirant ou de décompensation paranoïaque. Ils ont pu agir dans l’intérêt exclusif de la santé du patient, tout en protégeant de son éventuelle dangerosité ses collègues et/ou le public.

Une médecine d’expertise est-elle nécessaire concernant les « postes de sécurité » ?

Cela est souhaitable pour la délivrance du permis de conduire poids lourds ou de la licence de pilote de ligne. Par essence, cette médecine d’expertise est limitée au cadre réglementaire qui la constitue. Elle fonctionne avec des décisions médicales qui s’imposent au travailleur et n’est donc pas fondée sur la confiance. Aussi, le salarié ne déclare au médecin expert que ce qu’il veut bien, sachant les conséquences que cela aura sur son emploi. Cette médecine, qui ne peut s’inscrire au début d’un processus de soins éventuels, a donc de très nombreux angles morts.

En conséquence, il est illusoire de penser que l’élaboration de la sécurité dans les transports – qu’ils soient aériens, routiers, ferroviaires ou maritimes – ou dans les centrales nucléaires peut reposer sur la seule sélection de candidats indemnes de pathologies psychiques et sur la détection de sujets présentant des risques de décompensation. Penser que c’est en levant le secret médical que l’on y parviendra risque au contraire d’augmenter la dissimulation par les salariés de leurs difficultés psychiques. C’est au contraire en misant sur la confiance envers le médecin du travail et sur la coopération dans les équipes que la sécurité progressera.