Selma Reggui : "Légitimer l'expertise citoyenne"

entretien avec Selma Reggui
par Rozenn Le Saint / juillet 2016

Le 30 avril dernier, place de la République, à Paris, Nuit debout a accueilli une conférence-débat sur la santé au travail. Selma Reggui fait partie du groupe de travail qui s'est créé pour continuer à animer le débat citoyen sur ce sujet.

Existe-t-il une manière nuit-deboutiste d'aborder les questions de santé au travail ?

Selma Reggui : Oui, l'horizontalité. Nous considérons, et Nuit debout le montre, que les participants ont tous une analyse pertinente de leurs conditions de travail, quels qu'ils soient. Un animateur d'atelier encourage la prise de parole et est garant de sa distribution. Nous faisons en sorte qu'il ait une connaissance du thème qu'il anime, mais sa connaissance ne vaut pas plus que celle des autres participants. La légitimation de l'expertise citoyenne est un des points forts de ce mouvement. Son expression est rendue possible par ce choix d'horizontalité, mais aussi par le fait que l'espace soit ouvert : les gens viennent et s'expriment plus facilement sur une place publique qu'à un colloque. L'idée est de casser l'autocensure.

Quelles sont les suites données à la conférence dans le mouvement ?

S. R. : Le 30 avril, des participants actifs de Nuit debout et des gens qui passaient par la place de la République ont témoigné leur intérêt de débattre de la question du travail, ce qui nous a confortés dans notre idée de pérenniser l'initiative. C'est pourquoi, début mai, nous avons constitué le groupe "travail", rattaché à la commission "économie politique" et animé par un noyau dur d'une demi-douzaine de personnes. Nous n'avons pas voulu créer une énième commission, elles sont déjà nombreuses, et ce rattachement nous permet d'articuler les questions "macro" et "micro", celles de l'emploi et du travail. Il peut paraître surprenant qu'il n'y ait pas de commission sur le travail. Ce n'est pas parce que ce thème n'est pas la préoccupation première des nuit-deboutistes, mais parce qu'il est transverse et traité dans différentes commissions. Depuis le 21 mai, notre groupe organise deux ateliers par semaine, le jeudi à 18 h 30 et le samedi à 17 heures, sur des sujets comme les enjeux de la santé au travail, la résistance au langage managérial, la médecine du travail, le CHSCT ou encore le piège des risques dits "psychosociaux".

De quelle façon le groupe "travail" participe-t-il au débat sur la loi El Khomri ?

S. R. : Nous essayons d'identifier ensemble les conséquences que pourrait avoir la loi travail sur la santé des salariés. Par exemple, en quoi les transformations que pourrait engendrer la loi El Khomri sur le temps et l'organisation du travail auraient pour effet son intensification et des temps de récupération moindres, et les risques professionnels que cela implique.

Existe-t-il des passerelles avec d'autres sujets qui intéressent Nuit debout ?

S. R. : La commission "économie politique" a organisé de nombreux débats sur les alternatives : le salaire à vie, le revenu de base, les coopératives... Dans les structures autogestionnaires, où le pouvoir n'est plus censé être détenu par le patron employeur, il est intéressant de s'interroger : qu'en est-il des conditions de travail ou des effets des rapports de pouvoir quand ils ne sont pas régulés ? Les salariés associés ont souvent un rapport de vocation au travail qu'ils réalisent, ce qui s'accompagne d'une surcharge de travail et, parfois, de manquements à des principes légaux qui préservent la santé. Tout en défendant ces alternatives, comment penser des instances de régulation qui permettent de prévenir les risques pour la santé ? Quelles seraient les spécificités des instances représentatives du personnel dans ce type de structures ? Nous allons proposer que ce débat ait lieu ; je pense que cela intéressera les nuit-deboutistes.