Les séquelles du travail masquées par le chômage

par Nathalie Frigul sociologue à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris) / juillet 2009

Comment expliquer le mauvais état de santé de nombreux chômeurs, notamment de longue durée ? Interrogées sur cette question, les associations d'insertion citent habituellement le poids de la détresse psychologique ou l'apparition de maladies chroniques en raison de retards ou de carences de soins. Pourtant, des enquêtes menées auprès de ces publics montrent que la plupart sont d'anciens salariés. Des travailleurs et travailleuses dont l'histoire professionnelle est méconnue, en particulier les pénibilités au travail et leurs conséquences durables sur la santé.

Alain, rencontré dans une de ces associations d'insertion, est un bon exemple. Né en 1948, il a commencé à travailler à l'âge de 14 ans, comme ouvrier agricole, puis comme manoeuvre dans le bâtiment. Il dit " le payer aujourd'hui "" J'ai mal au dos... J'ai porté des paquets de 100 kilos quand j'étais jeune... Une fois, en mettant des mètres de murs, je suis resté bloqué trois jours... Je vais avoir une prothèse de la hanche... C'est toujours à cause du dos... C'est tout usé... ", témoigne-t-il. Alain a travaillé dans le secteur du bâtiment de façon ininterrompue et à plein temps jusqu'en 1976, date à laquelle il connaît une première période de chômage. Alain suit ensuite le parcours ordinaire de nombreux travailleurs sans qualification : des emplois précaires, puis le chômage de longue durée et, enfin, une inscription durable au RMI.

Les expositions professionnelles nombreuses et répétées auxquelles il a été soumis ne figurent pas dans les bilans d'insertion établis par les administrations qui l'orientent vers des contrats aidés. Cette invisibilité de l'origine professionnelle des atteintes à la santé d'Alain conduit à des situations aberrantes concernant l'offre d'insertion qui lui est faite, comme ce chantier en maçonnerie qu'on lui propose en 1999 et qu'il accepte, alors même que cette activité lui a " broyé le dos ", dit-il.

Vieille histoire. Alain n'a jamais fait de demande de reconnaissance en maladie professionnelle pour ses problèmes de dos. Et la période de chômage prolongée qu'il a connue a contribué à dissimuler le lien entre son état de santé dégradé et son ancien travail. L'association d'insertion, très attentive à orienter Alain vers des soins dentaires et ophtalmologiques, n'aborde pas avec lui ce passé professionnel. Lui-même n'en parle pas ou dit que " c'est de l'histoire ancienne "... Une vieille histoire dont il subit pourtant quotidiennement les séquelles.

Les personnes au chômage souffrant d'atteintes professionnelles peuvent trouver des compensations via la reconnaissance du statut de travailleur handicapé ou le versement de l'allocation adulte handicapé (AAH). Mais cela revient à convertir des maladies liées au travail en fragilités personnelles, dont l'individu est tenu pour seul responsable. Or, avec la disparition de l'histoire du travail, c'est aussi la responsabilité des entreprises en matière de prévention et de réparation des atteintes à la santé qui disparaît.