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Encore trop d'accidents du travail

par François Desriaux / octobre 2010

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les risques psychosociaux feraient-ils oublier les accidents du travail ? Coeur de cible de la prévention des risques professionnels pendant des décennies, ceux-ci sont à présent passés au second plan, évincés par les maladies professionnelles. Ainsi, cet été, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS) pouvait-elle afficher sa satisfaction en publiant les chiffres de la sinistralité de sa branche dédiée aux risques professionnels : un recul de 7,5 % des accidents du travail en 2009, un indice de fréquence qui atteint, pour la deuxième année consécutive, le chiffre le plus bas jamais enregistré.

Toutefois, il convient d'avoir le triomphe modeste devant ces statistiques, comme le reconnaissait d'ailleurs le communiqué de la Cnam-TS. Elles sont davantage le reflet de la baisse de l'activité économique et de ses répercussions sur l'emploi que le fruit des efforts en matière de prévention. Ce bémol va bien au-delà de la crise financière de ces deux dernières années. La fermeture ou la perte de vitesse de secteurs d'activité réputés dangereux, comme les mines ou la sidérurgie, expliquent pour beaucoup l'amélioration des résultats de l'accidentologie.

Il reste donc des progrès substantiels à accomplir dans la lutte contre ce fléau, d'autant que la gravité de ces accidents n'a pas suivi, loin s'en faut, la baisse de leur fréquence. On risque encore sa peau dans la construction, surtout si on a la malchance d'être intérimaire. Le bois, les transports ou encore les services restent des activités dangereuses. Dans de nombreux secteurs, la prévention des accidents du travail n'est pas un luxe. Mais surtout, elle oblige à analyser les travers de l'organisation et à mettre le travail en débat.

C'est une formidable occasion pour se pencher sur des sujets régulièrement abordés dans ces colonnes, tels que la place des salariés précaires, les risques dus à l'intervention d'entreprises extérieures dans les opérations de maintenance, la perte de savoir-faire dans de nombreux métiers à force de sous-traitance des activités dites " connexes ", les contraintes de temps qui obligent à gagner quelques précieuses secondes sur le respect des consignes de sécurité, la formation des jeunes et l'accueil des nouveaux embauchés souvent bâclés faute d'effectifs, la compatibilité des équipements de protection individuelle avec un travail de qualité...

Pour ce faire, élus de CHSCT et préventeurs disposent d'un véritable arsenal, tant juridique que pratique. En amont, avec les plans de prévention et le document unique d'évaluation des risques ; en aval, après un accident, avec le droit d'enquête, le déploiement de la méthode de l'arbre des causes, l'accompagnement de la victime dans sa démarche de réparation. Sans oublier la question cruciale du maintien dans l'emploi des salariés accidentés. Beaucoup d'entre eux sont stigmatisés ou ne retrouvent plus leur place dans l'entreprise.

Ce dossier devrait permettre aux acteurs de la prévention de mettre en oeuvre tous ces outils et ces dispositifs, largement sous-utilisés aujourd'hui.

Ce faisant, il leur restera deux écueils à surmonter. D'une part, se contenter de faire de la prévention " sur plan " : ici plus qu'ailleurs, c'est sur le terrain, au coeur du travail réel, que se joue la sécurité. D'autre part, se comporter en gendarme vis-à-vis des collègues : il vaut mieux chercher à comprendre le travail plutôt que de juger le comportement des salariés.

Des statistiques pour la prévention

par Joëlle Maraschin / octobre 2010

La direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail s'est emparée des données nationales sur les accidents du travail pour en faire un outil de prévention. Premier bilan.

Difficilement exploitables. Les statistiques nationales sur les accidents du travail étaient jugées comme telles il y a quelques années encore. En 2005, un rapport d'audit sur le système d'information statistique en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles (AT-MP) soulignait la faible exploitation des données collectées par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS, voir " A lire "), ne permettant pas d'en faire un outil efficace de connaissance et de conduite des politiques de prévention. Depuis, la situation a évolué. La direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares), au ministère du Travail, s'est vu confier les bases de données de la Cnam-TS afin d'en faire un traitement statistique plus adapté à la prévention.

De fait, les bases de données de la Cnam-TS étaient élaborées avant tout pour calculer le taux de cotisation des employeurs à la branche AT-MP. Elles utilisaient une nomenclature interne adaptée à la tarification des risques et regroupant les taux globaux d'accidents du travail pour neuf grandes branches d'activité, parfois hétérogènes, relevant chacune d'un comité technique national paritaire (CTN). De l'avis des chercheurs, les données produites, répondant à des objectifs avant tout comptables, étaient trop parcellaires pour réaliser une veille sanitaire.

Une vision plus fine des écarts d'exposition

Après avoir récupéré les fichiers de la Cnam-TS, les statisticiens de la Dares les ont donc croisés avec des données de l'Insee, issues des déclarations annuelles de données sociales. " Cela permet notamment de rapporter le nombre d'accidents du travail au prorata du nombre d'heures effectuées par les salariés exposés ", explique Damien Euzenat, signataire de la première étude de la Dares sur l'exploitation des données de la Cnam-TS (voir " A lire "). Cette première exploitation a porté sur les 720 000 accidents du travail (AT) ayant occasionné au moins une journée d'arrêt de travail en 2007. Ses résultats, s'ils ne contredisent pas certains constats déjà faits par la Cnam-TS, permettent d'avoir une vision plus fine de la répartition des accidents du travail et des écarts d'exposition selon le secteur d'activité, la taille de l'entreprise, la catégorie socioprofessionnelle, le sexe... " Nous pouvons désormais transmettre aux services déconcentrés du ministère du Travail des données fiables et précises sur les secteurs à risque dans leur région. C'est un progrès non négligeable pour la mise en oeuvre des politiques de prévention ", commente Thomas Coutrot, responsable du département Conditions de travail et santé de la Dares.

Ainsi, l'étude confirme que le risque d'accident du travail est plus élevé dans le secteur de la construction, puis dans les industries du bois et du papier, mais pointe également les services opérationnels (travail temporaire, activités d'enlèvement d'ordures ménagères et de nettoyage) et les transports. Ce sont les travailleurs des entreprises de taille intermédiaire (10 à 500 salariés) qui sont les plus exposés : le taux d'accidents y est supérieur à 25 pour un million d'heures de travail, contre 14,4 dans les établissements de 500 salariés et plus, et 19,6 dans les plus petites entreprises, celles qui ont moins de 10 salariés. Autre précision : les ouvriers subissent 48 accidents du travail pour un million d'heures travaillées, contre seulement 3 pour les cadres et chefs d'entreprise. Le taux d'accidents est plus élevé chez les hommes que chez les femmes, même au sein d'une même catégorie socioprofessionnelle. L'étude permet également d'évaluer le taux d'AT et leur gravité en fonction de l'âge. Les salariés de 50 ans et plus ont deux à trois fois moins d'accidents que les jeunes de moins de 30 ans. Mais ceux qu'ils subissent entraînent plus souvent une incapacité permanente partielle (IPP). C'est le cas pour 14 % des accidents du travail des plus de 50 ans, contre 2 % pour les salariés de moins de 20 ans.

Avant la reprise des données de la Cnam-TS par la Dares, celle-ci pouvait s'appuyer sur certaines enquêtes nationales pour obtenir des informations utiles à la prévention des AT. L'enquête Conditions de travail a ainsi permis de pointer leur sous-déclaration, relativement faible pour les accidents avec arrêt de travail, plus importante pour ceux sans arrêt. Quant à l'enquête Sumer (pour " Surveillance médicale des risques "), elle a permis de faire le lien entre la survenue d'accidents et certaines organisations ou conditions de travail. " Les efforts physiques et le bruit contribuent pour une large part au risque d'accident, tout comme un rythme de travail intense, des horaires imprévisibles, un manque de soutien du collectif de travail ou des tensions avec le public ", relève Sylvie Hamon-Cholet, coauteure d'une étude sur ce thème en 2007 pour la Dares (voir " A lire ").

Un entrepôt national

La Dares travaille à l'heure actuelle sur une étude croisant les statistiques sur les AT avec les informations de l'enquête nationale sur les changements organisationnels (COI), afin de déterminer leur impact sur les taux d'accidents du travail.

Enfin, un dernier grand chantier statistique concernant les AT est en cours, qui occupe la Dares et l'Institut de veille sanitaire (InVS). Ce dernier s'est vu confier, par la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004, la mission de centraliser l'ensemble des données des différents régimes d'assurance maladie en matière d'AT-MP. Cela afin d'en améliorer la veille sanitaire. Les épidémiologistes du département santé-travail de l'InVS travaillent depuis trois ans avec les statisticiens de la Dares sur ce projet expérimental. Cet entrepôt national des données regroupe les informations du régime général, de la Mutualité sociale agricole et des fonctions publiques territoriales et hospitalières, soit 85 % des salariés. Il prend en compte les accidents du travail avec arrêt reconnus par les régimes en 2004 et 2005, mais aussi ceux a priori moins graves, c'est-à-dire non accompagnés d'un arrêt de travail.

" Qu'un accident du travail soit grave ou pas, les circonstances de survenue sont souvent les mêmes. C'est la raison pour laquelle nous nous intéressons à l'ensemble des AT dans un objectif de prévention ", précise Anne Chevalier, épidémiologiste à l'InVS et responsable du projet d'entrepôt des données. L'étude de l'Institut, actuellement soumise au Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct) avant diffusion, porte au total sur 915 000 AT annuels pour les hommes et 370 000 AT pour les femmes. D'après Anne Chevalier, cette analyse permet d'avoir une vision encore plus fine des salariés exposés au risque d'accident du travail, indépendamment de leur affiliation à tel ou tel régime d'assurance maladie. " Nous avons montré qu'il est techniquement possible de constituer un entrepôt national des données AT-MP, et les résultats que nous obtenons sont inédits ", souligne l'épidémiologiste. " Notre travail était artisanal, il faudrait maintenant prendre la décision de choisir un opérateur pour alimenter en permanence un tel entrepôt ", poursuit-elle. En d'autres termes, reste à savoir qui financera la constitution d'un tel outil...

En savoir plus
  • Rapport d'audit de l'organisation du système d'information statistique relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, par Daniel Lejeune (Inspection générale des affaires sociales) et Alain Vienot (Insee), éd. La Documentation française, 2006. Rapport téléchargeable sur http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000699/0000.pdf

  • " L'exposition des salariés aux accidents du travail en 2007 ", par Damien Euzenat, Premières Synthèses n° 50-2, décembre 2009.

  • " Accidents et conditions de travail ", par Sylvie Hamon-Cholet et Nicolas Sandret, Premières Synthèses n° 31-2, août 2007.