Travail, mensonges et vidéo

par François Desriaux rédacteur en chef / avril 2010

Ainsi, face à la recrudescence de la violence dans les lycées, la solution serait de doter les établissements de surveillance vidéo... Si la situation dans l'enseignement n'était pas si critique, on pourrait presque en rire, tant la proposition est grotesque ! Comment nier à ce point que la question de la violence à l'école ne pourra se résoudre qu'avec du personnel formé, compétent et en nombre suffisant, pour non pas seulement surveiller, mais prendre en charge un problème complexe ?

Toujours dans l'Education nationale, la même logique gestionnaire nous explique qu'on peut dans le même temps supprimer des milliers de postes chaque année, remédier à l'échec scolaire et améliorer la qualité de l'enseignement. Et ce, à coups d'heures supplémentaires, d'aides personnalisées ou de lycées " ambition réussite ".Pourtant, il n'y a pas besoin d'avoir fait de longues études pour comprendre que des classes moins surchargées restent l'un des meilleurs moyens de résorber l'hétérogénéité des niveaux. En attendant, les enseignants paient le prix fort en termes de dégradation des conditions de travail et d'atteintes à la santé.

Face à ces incongruités, il est légitime de se demander si le mensonge n'est pas devenu la façon la plus commode de gouverner. Car, malheureusement, la tromperie tend à se généraliser. Les mêmes phénomènes sont à l'oeuvre dans les hôpitaux, où l'on veut faire croire qu'on peut améliorer la prise en charge et la sécurité des patients avec moins de postes d'infirmières ou d'aides-soignantes. Résultat : en marge des mouvements sociaux, on commence à dénombrer plusieurs suicides au sein d'un personnel qui s'épuise à maintenir la qualité des soins, alors que tout concourt à sa dégradation. Et c'est à présent dans les crèches qu'on prétend résoudre le problème récurrent du manque de places, en augmentant le quota d'enfants accueillis par les assistantes maternelles ou encore en réduisant les temps de formation ! Le tout, bien évidemment, sans faire des garderies low cost ni dégrader les conditions de travail.

Alors, tous des menteurs au gouvernement ? L'explication serait trop simple. Sans compter que des exemples similaires pourraient être choisis dans le privé, où depuis belle lurette on taille allègrement dans les effectifs, on rationalise à outrance les tâches, tout en expliquant que cela ne doit dégrader ni la qualité des produits ni les conditions de travail.

Non, la vérité est plutôt à rechercher du côté de l'ignorance du travail qui sévit à tous les niveaux. Aujourd'hui, on peut diriger un service, un atelier, un centre d'appels ou un hôpital sans rien connaître du travail concret qui s'y fait. Juste avec des tableaux, des ratios, des indicateurs, sans oublier le sacro-saint reporting. Evidemment, cette évolution est angoissante, car c'est là qu'il faut rechercher l'origine du développement sans précédent de la souffrance au travail. Raison de plus, pour les préventeurs et les acteurs sociaux, d'aller regarder du côté du travail afin d'en repérer les contradictions. Ce n'est peut-être pas la promesse du Grand Soir pour changer la société, mais certainement une voie plus efficace pour transformer le travail.