Travail de nuit : des effets durables sur le sommeil ?

par Jean-Claude Marquié directeur de recherche au CNRS, chercheur au Laboratoire travail et cognition (CLLE-LTC) de l'université Toulouse 2-Jean-Jaurès / juillet 2015

Les perturbations du sommeil sont un des effets du travail de nuit que les travailleurs perçoivent immédiatement dans leur vie quotidienne, et parfois péniblement. Mais on ne sait presque rien sur les effets chroniques du travail de nuit sur le sommeil. Est-ce qu'à côté des autres effets connus ou soupçonnés sur la santé (troubles gastriques, cancers...), la désynchronisation des rythmes circadiens1 qui accompagne la pratique du travail de nuit pendant de nombreuses années affecte durablement, voire de manière irréversible, la qualité du sommeil ?

L'enquête Vieillissement, santé, travail (Visat)2 a apporté un éclairage à cette question en suivant pendant dix ans, en lien avec la médecine du travail, plusieurs centaines de salariés, hommes et femmes de tous secteurs, âgés de 32 à 62 ans au début de l'étude.

Bonne nouvelle. Les résultats observés par Visat entre 30 et 50 ans sont compatibles avec l'hypothèse d'une perturbation durable du sommeil, puisque les anciens travailleurs de nuit présentent des troubles plus élevés que les "jamais" exposés, même si on ne peut pas exclure que ces derniers se soient écartés du travail de nuit du fait d'une plus grande fragilité antérieure du sommeil. La bonne nouvelle, c'est que, après 50 ans, les différences entre les "anciens" et les "jamais" exposés disparaissent, ce qui laisse penser que les perturbations se résorbent avec le temps. Mais là encore, on ne peut l'affirmer catégoriquement, car cela peut être dû au fait que ceux qui travaillent de nuit jusqu'à ces âges avancés ont un sommeil et une santé plus robustes.

La question des conséquences à long terme reste un sujet difficile, mais crucial. Elle se pose aussi pour d'autres aspects de la santé, comme les perturbations du système cardiovasculaire (syndrome métabolique) et le vieillissement cérébral. Sur ces deux aspects, Visat a observé une hausse des risques associée à la pratique durable du travail de nuit (plus de dix ans), indépendamment des effets sur le sommeil.

Sous la houlette de Yolande Esquirol, médecin spécialiste des pathologies professionnelles au CHU de Toulouse, une nouvelle étude démarre actuellement dans plusieurs régions françaises. Elle permettra de suivre sur deux ans plus de 2 000 travailleurs de nuit. Elle fournira de précieuses indications sur les mesures susceptibles de réduire les effets néfastes du travail de nuit sur le sommeil et la santé, notamment en termes d'organisation du travail.

  • 1

    Rythmes biologiques d'une période d'environ 24 heures.

  • 2

    Voir sur www.visat.fr