Le travail des territoriaux en ballottage permanent

par Rozenn Le Saint / juillet 2014

Les fonctionnaires municipaux sont régulièrement confrontés à des changements et décisions politiques qui font peu de cas de leurs conditions de travail ou de leur activité réelle. Une source de souffrance et de stress.

Avoir des élus politiques comme employeurs n'est pas de tout repos. Dans les collectivités locales, notamment au niveau municipal, les conditions de travail des agents dépendent étroitement des choix opérés par les exécutifs politiques. Or ces derniers changent, parfois brutalement, notamment suite aux scrutins électoraux. Un facteur d'instabilité qui, ajouté aux réformes en cours, peut peser sur la santé des agents territoriaux. Faut-il y voir la source du taux d'absentéisme important constaté dans la fonction publique territoriale ? Certes, ce dernier est sujet à caution, car généralement mesuré par des opérateurs peu objectifs, comme les assureurs ou la fondation Ifrap, un think tank ultralibéral.

Mise au placard

Reste qu'à chaque fois, le taux d'absentéisme des agents de la territoriale est plus important que celui des autres fonctionnaires, ceux de l'administration d'Etat (Education nationale, défense, finances, etc.) ou du secteur hospitalier.

Pour certains observateurs, les résultats des élections ne sont pas neutres du point de vue de l'environnement de travail. "Les agents territoriaux ont le statut de fonctionnaire, mais cela ne les protège pas des changements politiques à la tête des mairies, par exemple, précise ainsi Christian Torres, médecin de prévention à Lyon. Si le maire souhaite se débarrasser d'une personne, il réorganise son travail de manière à ce qu'il parte. D'autres, en revanche, restent sous sa protection."

Pour d'autres observateurs, des facteurs comme les restrictions budgétaires pèsent davantage que l'alternance politique en elle-même.Ainsi, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le communiste Patrice Bessac a succédé à l'écologiste Dominique Voynet. Mais pour Nicolas Fraix, responsable du domaine santé et travail à la mairie, les effets ne se font pas encore sentir. "Il y a une différence de temporalité entre la vie politique telle qu'elle est perçue de l'extérieur et la vie interne d'une administration, où les transformations ne se font pas du jour au lendemain", assure-t-il. Finalement, les agents sont davantage stressés par le cadre budgétaire limité. "Les demandes de créations de postes sont faites au compte-gouttes et les absences courtes ou à répétition ne sont pas forcément remplacées. Cela crée une sorte de cercle vicieux, car les équipes en effectifs restreints parviennent à accomplir le même travail, mais sont parfois en surcharge", témoigne Nicolas Fraix.

Point d'indice gelé

La question des effectifs est sensible. Leur mise en tension joue sur la qualité du service rendu par les agents municipaux. Or le sentiment du travail bien fait ainsi que sa reconnaissance par la population sont importants pour des fonctionnaires dont les efforts sont peu reconnus par ailleurs. Le point d'indice est gelé depuis quatre ans, et le sera encore jusqu'à 2017. A la communauté urbaine de Strasbourg (CUS), 40 des 200 assistantes sociales ont demandé à changer de métier. "La hiérarchie dit aux agents que leur mission est importante et urgente, mais les absences pour maladie ou congé maternité ne sont pas remplacées, c'est un non-sens, indique Christian Gauffer, psychologue et secrétaire du syndicat des cadres CGT de la CUS. En 2008, quand la communauté est passée à gauche, le personnel du secteur social a voulu y croire. Il a patienté, mais les moyens sont toujours autant bridés."

Le manque de prise en considération par les exécutifs politiques du travail réellement réalisé par les agents peut aussi avoir de lourdes conséquences. A Lyon, un tiers des personnels de cantine s'est retrouvé en arrêt maladie au moment du changement des rythmes scolaires dans les écoles. Pour comprendre, la mairie a fait appel à Aliavox, cabinet d'expertise pour les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). "La polyvalence à outrance les a épuisés, souligne Serge Dufour, d'Aliavox. Chaque femme de cantine est passée de 30 enfants à surveiller à 120Elles ne pouvaient plus avoir la même attention pour chaque écolier. Avant, elles remarquaient si l'un d'entre eux ne mangeait pas, elles avaient le temps de s'y intéresser... A présent, elles gèrent des flux." L'expertise a finalement permis des embauches supplémentaires. Aliavox est aussi intervenu sur le Grand Lyon, suite à la tentative de suicide d'un éboueur. "L'importance, dans ce métier, de la relation avec la population locale était totalement ignorée par la hiérarchie, explique Serge Dufour. On y gère au quotidien la misère, en étant en lien avec les SDF, et cet aspect du métier n'avait pas été pris en compte par un management qui se rapprochait plus de celui d'une entreprise privée, pour une mission de service public

Transferts à risque

Les changements induits par les transferts d'activités entre collectivités locales, notamment dans le cadre des regroupements de communes, sont un autre facteur de stress pour les agents. La mairie de Saint-Marcellin (Isère), elle, s'est vu transférer la compétence de l'aide à domicile en 2009. L'année suivante, l'absentéisme a explosé : 40 jours d'absence en moyenne par agent, contre 15 jours en 2009. Plus précisément, 41 % des arrêts maladie enregistrés à la mairie provenaient du service d'aide à domicile, alors que ce dernier ne représentait que 19 % du personnel. En réponse, "nous avons mis en place un parcours d'intégration des nouveaux agents, parrainés la première année via un tutorat", relate Razika Merabet, DRH de la ville.

L'idéal reste d'anticiper en amont les conséquences des changements de structure sur les conditions de travail des agents. Dans le cadre du développement des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), Bastides de Lomagne (Gers) a été créée pour regrouper trois communautés de communes en 2013. Avant de procéder à l'harmonisation du régime indemnitaire et des pratiques et afin de calmer les inquiétudes liées à ce rassemblement, même s'il n'a donné lieu à aucune suppression de poste, l'assistante de prévention, Valérie Pailhes, a souhaité recenser tous les dysfonctionnements et demandé notamment aux agents d'entretien comment améliorer leurs conditions de travail. "Nous avons trouvé une nouvelle technique, moins pénible, pour le nettoyage des vitres, par exemple, et en avons fait bénéficier tout le territoire", raconte-t-elle. Un service des ressources humaines a été créé pour structurer davantage la gestion du personnel, qui est passé d'une trentaine d'agents par communauté à une centaine pour Bastides de Lomagne.

Il faut enfin signaler que sur les questions de conditions de travail, les marges de manoeuvre des agents territoriaux sont plus limitées que dans le privé. Les collectivités locales verront seulement fin 2014 leur CHS se transformer en CHSCT aux moyens d'action élargis. Et côté suivi médical, la pénurie de médecins de prévention se fait sentir. "Nous devrions avoir 1,5 médecin équivalent temps plein, nous avons seulement deux mi-temps, constate Nicolas Fraix. Ils ne sont pas attirés par la fonction publique, le niveau des salaires n'est pas le même."