Risque chimique : Valeurs limites d'exposition sans garantie !

par Mounia El Yamani biochimiste à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) / janvier 2011

L'élaboration des valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) à un agent chimique repose sur une expertise scientifique plus claire que par le passé. Les CHSCT doivent toutefois savoir qu'elles n'offrent pas une protection absolue de la santé.

Réglementairement, la valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) d'un agent chimique représente la concentration dans l'air que peut respirer une personne sur son lieu de travail pendant un temps de référence donné et en dessous de laquelle le risque d'altération de la santé est négligeable.

Plusieurs types de valeurs limites, poursuivant chacun un objectif particulier de protection de la santé des travailleurs, sont ainsi fixés au terme d'un processus d'élaboration relativement long (voir " Repère "). La valeur limite d'exposition professionnelle-8 heures (VLEP-8 h)1 , ainsi nommée car mesurée sur une durée moyenne de huit heures à un poste de travail, vise à protéger des effets néfastes à moyen et long termes sur la santé des travailleurs exposés régulièrement et pendant la durée d'une vie de travail à une substance chimique. En revanche, l'objectif de la valeur limite à court terme (VLCT-15 min), mesurée sur une durée de quinze minutes, est de protéger les travailleurs des effets sanitaires toxiques immédiats ou à court terme. Enfin, pour certaines substances (irritants forts, corrosifs, avec un effet grave irréversible à très court terme), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) recommande l'utilisation d'une valeur plafond. Ce nouveau type de valeurs limites correspond à une concentration atmosphérique dans les lieux de travail qui ne doit être dépassée à aucun moment.

Repère

L'élaboration des valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) se fait en trois étapes :

  1. L'expertise scientifique indépendante : l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) propose des limites de concentration à ne pas dépasser et recommande des méthodes de mesure.
  2. L'établissement d'un projet réglementaire : la VLEP proposée par le ministère du Travail peut être contraignante (fixée par décret) ou indicative (fixée par arrêté).
  3. La concertation sociale : lors de la discussion du projet de VLEP au Conseil d'orientation sur les conditions de travail, d'éventuels délais d'application ainsi que la prise en compte de problèmes de faisabilité technico-économique peuvent se négocier.

" Sanitaires " ou " pragmatiques "

Pour définir les VLEP, il est nécessaire de se focaliser sur les effets nocifs précoces, afin de prévenir ou limiter l'apparition de conséquences plus graves. Réalisée par l'Anses, cette identification se fait à travers l'analyse de la littérature scientifique en toxicologie, épidémiologie et médecine du travail. Les VLEP sont alors fixées sur la base d'une évaluation scientifique entre les effets sur la santé de la substance et le niveau de l'exposition professionnelle.

Les VLEP dites " sanitaires " sont celles pour lesquelles il est possible de déterminer une dose seuil au-dessous de laquelle le risque d'altération pour la santé reste négligeable. Autrement dit, même si des modifications physiologiques réversibles sont parfois tolérées, aucune atteinte irréversible ou prolongée de la santé n'est attendue à ce niveau d'exposition. En revanche, pour certains effets - le cancer, par exemple -, il peut s'avérer impossible de définir un seuil de toxicité. Dans ce cas, l'Anses évalue le risque supplémentaire de cancer associé à différents niveaux d'exposition à la substance. Quand les données sont manquantes, elle peut à défaut recommander la fixation d'une valeur limite dite " pragmatique ", afin de prévenir la survenue de pathologies autres que le cancer et limiter l'exposition.

Un appui pour l'évaluation des risques chimiques

Dans le cadre de la prévention des risques chimiques, la fixation de VLEP par le ministère du Travail impose à l'employeur des obligations en matière de mesurage et de contrôle technique mais aussi d'information. Que la valeur limite soit contraignante (art. R. 4412-149 du Code du travail) ou simplement indicative (art. R. 4412-150), l'employeur est tenu de communiquer au médecin du travail et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) les résultats des campagnes de mesures effectuées. Les représentants du personnel au CHSCT doivent donc veiller au respect de cette disposition, prévue dans l'article R. 4412-30 du Code du travail.

Les VLEP recommandées par l'Anses, bien que n'ayant aucun caractère réglementaire, peuvent constituer des repères chiffrés utiles à l'employeur ainsi qu'au CHSCT. Elles permettent en effet de réaliser l'évaluation des risques chimiques auxquels sont exposés les travailleurs ; d'évaluer l'efficacité des mesures de prévention mises en place, telles que la ventilation, le captage à la source, etc. ; d'avoir un regard critique sur les méthodes de mesure utilisées pour l'évaluation des expositions et sur l'interprétation en termes de risque qui peut en être faite ; d'assurer la traçabilité des expositions des travailleurs et de renseigner la fiche d'exposition propre à chaque salarié ; enfin, de mettre à jour le document unique d'évaluation des risques en remettant en perspective l'ensemble des mesures techniques disponibles qui permettent de réduire les expositions (substitution, évolution des procédés, vase clos et protection collective).

Les nouvelles valeurs défendues par l'Anses

Le plan santé-travail 2007-2009 a permis d'intégrer le milieu professionnel dans le dispositif d'évaluation scientifique des risques sanitaires, afin de séparer la phase de gestion des risques de celle de l'évaluation des risques. C'est dans ce contexte que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), responsable de l'organisation de l'expertise pour la fixation des VLEP, a récemment publié cinq rapports, dont voici les conclusions.

  • Pour le chrome hexavalent, puissant cancérogène dont la VLEP actuelle est fixée à 50 µg/m3 (microgrammes par mètre cube), seule la valeur la plus basse possible peut être préconisée. Les techniques d'analyse en vigueur permettent de mesurer une VLEP-8 h jusqu'à un niveau de 1 µg/m3 en chrome hexavalent, ce qui, selon l'estimation de l'Anses, correspond à un risque de 1 cas de cancer pulmonaire supplémentaire pour 100 travailleurs exposés durant toute leur vie professionnelle.
  • Pour le béryllium, également cancérogène avéré, il est recommandé d'abaisser la VLEP de 2 µg/m3 à 0,01 µg/m3, en prévention de la bérylliose chronique. Même à ce niveau, le risque cancérogène ne peut être écarté.
  • Pour le styrène, il est proposé de réduire de près de 50 % la valeur en vigueur. La VLEP-8 h de ce neurotoxique passerait ainsi à 100 mg/m3 et sa VLCT-15 min à 200 mg/m3
  • Pour le perchloroéthylène, il conviendrait de fixer une VLEP-8 h à 138 mg/m3 et, en complément, une VLCT-15 min à 275 mg/m3 afin de limiter les effets neurotoxiques des pics d'exposition.
  • Pour le 2-butoxyéthanol et son acétate, il est pour la première fois proposé de fixer une valeur limite biologique pour les travailleurs, permettant ainsi de prendre en compte toutes les voies d'absorption lors de l'évaluation des expositions.

Il est essentiel de comprendre que le respect des VLEP n'est pas synonyme d'absence de risques sanitaires, et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord, des substances, notamment certains cancérogènes, sont considérées comme agissant sans seuil de dose ; autrement dit, en l'état actuel des connaissances, il est impossible les concernant d'identifier un niveau d'exposition totalement protecteur pour la santé. Par ailleurs, une VLEP est propre à une substance et ne considère pas les conditions " réelles " (exposition à un mélange, rythme de travail soutenu, autre voie d'exposition que l'inhalation, etc.). Troisième point : pour fixer certaines VLEP, des facteurs correctifs sont appliqués afin de transposer à l'homme les effets nocifs relevés chez l'animal, mais des incertitudes demeurent. Enfin, les données scientifiques peuvent évoluer, ce qui nécessite une réactualisation permanente des expertises.

Il est donc important de rappeler que les VLEP ne sont qu'un objectif minimal pour la protection de la santé. Le respect de ces valeurs n'est pas une fin en soi et n'est pas la seule mesure à prendre en compte pour la baisse des niveaux d'exposition au plus bas possible. La réduction du risque passe avant tout par le remplacement des substances dangereuses par celles présentant un danger moindre et, en cas d'impossibilité, par la mise en place de mesures de protection collective.

  • 1

    Anciennement appelée " valeur limite de moyenne d'exposition " (VME). sur le Net

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