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« Les décideurs sont revenus à des pratiques de prévention très hygiénistes et verticales »

entretien avec Alain Garrigou professeur d’ergonomie au département hygiène, sécurité et environnement de l’IUT de Bordeaux
par Rozenn Le Saint / juillet 2020

Qu’est-ce que cette crise a changé concernant la prévention des risques en entreprise ?
Alain Garrigou1 :
Ce qui est nouveau, c’est le fait que l’on nous recommande de faire attention à ne pas exposer les autres, nos proches, notre famille, les personnes âgées… Mal se protéger peut entraîner une contamination pour d’autres. Cette conscience de la responsabilité, au-delà des murs de l’entreprise, montre l’évolution par rapport au temps où les ouvriers de l’amiante contaminaient leurs épouses en ramenant leurs bleus à la maison. Autre fait inédit, le risque est présent tout le temps et partout : pendant l’habillage, le travail, la pause, le repas… Il y a une perception du risque et de sa complexité que l’on n’avait pas sur les autres familles de risques.

Le débat public a beaucoup porté sur les difficultés d’approvisionnement en matériel de protection, et celuici a constitué la pierre angulaire de la politique de prévention. Peut-on résumer celle-ci à ces dispositifs de protection ?
A. G. :
Notre pays a pris le risque, volontairement ou pas, de ne pas être préparé à la situation : on est loin de ce que doit être la prévention. Par ailleurs, face à ce risque-là, on est allé en premier vers de la protection individuelle plutôt que collective. Les décideurs sont revenus à des pratiques de prévention très hygiénistes et verticales. Des préconisations se sont imposées. Probablement qu’en situation de crise, les choix étaient limités. Mais, au travail, les solutions toutes faites venues d’en haut ne sont souvent pas efficaces car elles sont rarement compatibles avec l’activité. A présent, tout l’enjeu est de mettre en place des dispositifs de remontée rapide d’informations du terrain pour adapter les mesures de protection. Par exemple, comment concilier le port de tenues de protection et de masques avec les efforts physiques ou lorsque la température est élevée ? Pour cela, il n’y a pas d’autre alternative que de débattre avec les acteurs pour tenir compte des connaissances et du vécu des salariés. Et de leur expérience.

Cette période inédite laisse-t-elle augurer une valorisation future des enjeux de santé au travail ?
A. G. :
J’ai l’espoir que cette injonction à se protéger, à protéger les autres et les êtres qui nous sont les plus chers face au virus, permette de rééquilibrer les échelles de valeurs entre les enjeux de prévention et les autres impératifs. C’est une opportunité à ne pas rater pour tous les acteurs de la santé.   

 

  • 1professeur d’ergonomie au département hygiène, sécurité et environnement de l’IUT de Bordeaux.