« Un travail soutenable sur toute la carrière »

entretien avec Corinne Gaudart ergonome, directrice de recherche au CNRS (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique, Conservatoire national des arts et métiers).
par Isabelle Mahiou / avril 2020

Comment, aujourd’hui, lier pénibilité et retraite ? 
Corinne Gaudart :
La réforme des retraites est une opportunité pour réfléchir à ce que devrait être un travail soutenable. Les conditions de travail et d’emploi permettent-elles aux salariés de préserver leur santé, leur assurent-elles un parcours professionnel durable ? Il faut passer d’une approche en termes de reconnaissance de la pénibilité à un registre préventif, où la question de l’âge de cessation d’activité est liée aux conditions dans lesquelles s’est déroulé le parcours professionnel. Certes, à court terme, cela implique de prendre en compte la pénibilité pour fixer un âge de départ juste, ce qui relève plutôt de la négociation en vue d’une compensation. Mais, à moyen et long terme, la prévention passe par une transformation du travail pour que les personnes puissent, à tous les âges de la vie, poursuivre leur activité en bonne santé et acquérir des compétences. 

Qu’implique cette transformation ? 
C. G. :
Tout d’abord, d’élargir notre conception de la santé au travail à la possibilité de se développer : la santé se construit aussi dans l’exercice professionnel, notamment à travers l’extension des compétences. Ensuite, il faut dépasser une analyse purement macro des effets sélectifs du travail par catégories d’âge ou par métiers pour s’intéresser aux processus de vieillissement à l’échelon individuel à travers les itinéraires. Intégrer le travail concret dans une politique de prévention passe par l’articulation de ces deux approches, quantitative et qualitative. Enfin, élargir notre définition de la pénibilité est une nécessité. Il existe un premier niveau de facteurs physiques, bien établis par l’épidémiologie et souvent repérés par le document unique d’évaluation des risques ; le compte de prévention de la pénibilité en liste certains. Mais d’autres facteurs sont évacués, en particulier les facteurs de risques psychosociaux. De plus, la pénibilité peut être ressentie dans une situation de travail qui n’est pas évaluée « pénible » d’un point de vue épidémiologique, mais qui provoque des troubles infrapathologiques [douleurs, fatigue, difficultés à faire des gestes précis, NDLR] agissant sur la possibilité de durer dans son poste. 

Comment procéder ? 
C. G. :
Il est indispensable d’articuler politiques publiques au niveau intermédiaire – branche ou entreprise – et compréhension fine à l’échelle des situations de travail. On ne part pas de zéro. Il existe des connaissances et des acteurs dans les entreprises, les institutions de prévention, les réseaux de chercheurs… qui peuvent être mobilisés pour soutenir des expérimentations dans le cadre d’actions concertées. Améliorer les conditions de travail, limiter les expositions trop longues, repenser les parcours : ces actions peuvent être négociées au plus près des spécificités des secteurs d’activité. En retour, ces expériences alimenteraient l’élaboration de règles et de modalités d’accompagnement des branches professionnelles, en lieu et place de dispositifs descendants.