© N. M./FNMF
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« Aider les salariés à préserver leur santé »

entretien avec Gérard Lucas président du Conseil national professionnel de médecine du travail
par Isabelle Mahiou / juillet 2020

Pourquoi, avez-vous publié le 3 avril un communiqué sur « trois conditions de cadrage de l’action de la médecine du travail » ?
Gérard Lucas1 : Pour alerter sur le danger d’un retour à une médecine sélective. L’instruction du ministère du Travail du 17 mars sur l’organisation des services a ainsi imposé le maintien des visites d’embauche et de reprise pour les entreprises « exerçant une activité nécessaire à l’activité économique de la nation », alors que le confinement était de rigueur. Une première dérive, car ce n’est pas le rôle du médecin du travail de dire qui peut être exposé ou non à des conditions de travail à risques. Même chose à l’hôpital avec les recommandations de la Société française de médecine du travail : elles fournissaient un référentiel utile pour reclasser les soignants vulnérables, mais elles mettaient à mal l’éthique de nombreux médecins, qui devaient gérer la pénurie de soignants, alors que protections et tests manquaient. Enfin, l’ordonnance du ministère du Travail du 1er avril a autorisé la prescription d’arrêts maladie. Une mesure dont les conditions d’application, qui imposent une rupture du secret médical, sont scandaleuses.


Cette ordonnance oriente également l’action de la médecine du travail vers l’appui aux entreprises…
G. L. : L’implication des médecins dans la lutte contre la pandémie ne peut s’y limiter. Ils doivent aussi aider les salariés à préserver leur santé au travail. Leur rôle est, par leurs analyses et leurs conseils, de faciliter la compréhension des enjeux et des risques par les salariés et les entreprises, et ainsi de renforcer leur pouvoir d’agir, sans se substituer à eux. C’est dans l’échange entre ces derniers sur les conditions de travail et l’organisation que les situations peuvent s’améliorer. Il y a aujourd’hui beaucoup de préconisations extérieures en la matière, mais pour qu’elles aient un sens elles doivent se nourrir de l’observation de la santé. C’est le rôle du médecin du travail d’effectuer ce suivi, via la consultation en particulier, pour connaître son évolution et son lien avec les conditions de travail. Cela n’empêche pas un travail collectif partenarial avec les autres intervenants sur les conditions de travail, mais il doit être nourri de ce regard santé.


Que devient ce rôle dans le projet de réforme de la santé au travail ?
G. L. : La tendance est plutôt de privilégier le rôle de conseil de l’employeur, au détriment des autres missions de la médecine du travail. Tant qu’ils seront gérés par le patronat, les services resteront dans le flou, tirés davantage vers un accompagnement des entreprises dans leur gestion des risques que vers le questionnement du lien santé-travail. Or cette approche-là est aussi importante dans l’accompagnement des salariés afin qu’ils adaptent leur comportement face au risque, comme ils ont su le faire face au Covid-19.  

 

  • 1président du Conseil national professionnel de médecine du travail