Johann Petit, Véronique Poète - © D. R.
Johann Petit, Véronique Poète - © D. R.

A côté de l'essentiel

par Johann Petit maître de conférences en ergonomie (université de Bordeaux) Véronique Poète ergonome, directrice du cabinet Alternatives ergonomiques, présidente de la Société d'ergonomie de langue française (Self) / janvier 2019

Le rapport Lecocq, Dupuis et Forest considère que la prévention des risques professionnels stagne, voire perd en efficience à cause d'une série de facteurs : empilement de strates de procédures réglementaires complexifiant la mise en oeuvre, faible lisibilité du rôle des différents acteurs, approche historique de la prévention inadaptée au contexte professionnel actuel, obligation de sécurité mal perçue par les employeurs et devenue contre-productive. Il faudrait au contraire favoriser l'incitation et l'accompagnement des entreprises. La réforme proposée par les rapporteurs souhaite également placer le travail au centre des débats et permettre aux acteurs de la prévention d'en questionner les déterminants majeurs. Nous nous interrogeons sur les objectifs et moyens qu'elle se donne pour le faire.

De notre point de vue, la stagnation des résultats n'est pas seulement le fruit d'une inadaptation d'un système d'acteurs et de gouvernance, mais bien d'une non-prise en compte du travail réel par les entreprises et de leurs réticences à changer de modèle d'organisation.

L'approche multifactorielle pour les troubles musculo-squelettiques (TMS), confirmée par des années de recherche et d'expériences d'intervention, peine à être entendue dans les entreprises, tant elle vient questionner des modèles industriels qui se généralisent jusqu'aux activités de services, déclenchant de nouveaux effets sur la santé comme les risques psychosociaux (RPS).

Si la prévention face aux nouveaux enjeux en matière de santé au travail se doit d'évoluer, il convient d'abord de discuter des changements du contexte économique et social et des modes d'organisation du travail. On ne pourra faire face aux nouveaux maux du travail sans interroger un pilotage des entreprises qui génère la dégradation des ressources. Un chemin que se gardent bien d'emprunter les rapporteurs.

Dans la perspective d'une simplification de l'organisation de la prévention esquissée par le rapport, apparaît ce "guichet unique" régional regroupant les acteurs pour plus de lisibilité et offrant des services diversifiés, censés couvrir l'ensemble des besoins. Cette proposition répond sans doute aux demandes des entreprises d'avoir à disposition des outils simples et rapides, "clés en main", leur permettant de remplir leurs obligations sur un plan formel, voire d'apporter des remèdes formatés à leurs difficultés. Mais intervenir sur la santé au travail pour lutter de façon durable contre les TMS et les RPS nécessite un fort engagement des acteurs de l'entreprise, des démarches "sur mesure" et donc réclame du temps et de l'investissement. Or force est de constater que la prévention est avant tout pensée comme un coût et un frein au développement de l'entreprise, plutôt que comme un axe stratégique permettant souvent d'améliorer aussi l'efficacité du travail. En outre, la disparition programmée des CHSCT à la suite des ordonnances Macron risque d'affaiblir le poids des représentants du personnel sur ces questions. Cela va à l'opposé du nécessaire rééquilibrage du rapport des forces sociales pour une meilleure prise en compte de la santé au travail. Enfin, l'offre de services qui sera proposée par le futur guichet unique risque d'orienter encore davantage la prévention vers des solutions techniques plutôt que vers l'accompagnement à la transformation du travail, dans une appropriation et une construction progressive par l'entreprise. Donc de passer à côté de l'essentiel pour un travail plus soutenable.