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« A distance, l’activité est plus dense »

entretien avec Emilie Vayre professeure de psychologie du travail et des organisations à l’université Lyon 2, spécialiste du travail médiatisé et à distance.
par Elsa Fayner / octobre 2020

Quels éléments doivent attirer l’attention des entreprises qui, suite à l’expérimentation massive pendant le confinement, déploient maintenant le télétravail de façon plus organisée ?
Emilie Vayre : Le télétravail implique des risques en termes de santé, d’équilibre de vie, de liens sociaux et d’égalité professionnelle. A distance, l’activité est plus intense, plus dense, plus étendue. Le salarié se retrouve responsable de la régulation de sa propre charge de travail alors que le droit au repos comme celui à la déconnexion relèvent de la responsabilité de l’employeur. Dans l’entreprise et dans les équipes, il est important de fixer des règles et de se donner les moyens de les respecter. C’est une priorité. Mais il faut aussi être vigilant pour dépasser les préjugés.


Quels préjugés ?
E. V. : Les télétravailleurs se considèrent et ont le sentiment d’être considérés comme des « privilégiés » : ils ne sont pas en première ligne, ils n’ont pas à subir le stress lié aux transports et à l’activité sur site. Certains les soupçonnent même de ne pas travailler. Beaucoup se surinvestissent, parfois jusqu’à l’épuisement, pour contrecarrer ces représentations. Le télétravail envahit leur vie familiale, qu’ils protègent généralement en désinvestissant la sphère sociale. Redéfinir les limites spatiales et temporelles du travail et préserver la santé des télétravailleurs demande un accompagnement : formation à l’organisation du travail à distance, aménagement de poste, discussions et régulations collectives. Comment préserver les collectifs de travail ? E. V. : Le télétravail les fragmente ; il amoindrit les relations informelles et le sentiment d’appartenance, dont on sait qu’ils sont importants pour favoriser le partage des compétences, l’épanouissement professionnel et le bien-être. Pour maintenir les liens sociaux, il est nécessaire d’organiser des rencontres régulières, par exemple en instaurant des périodes pendant lesquels personne ne télétravaille.


Tous les métiers peuvent-ils être concernés par la mise en place du télétravail ?
 E. V. : C’est un autre point de vigilance : l’égalité d’accès. Il est préférable de réfléchir en termes d’activités plutôt que de métiers ou de postes, ce qui exclut d’office certaines populations. Une fois identifiées les tâches qu’il est possible d’effectuer à distance, on peut questionner leur répartition parmi les salariés. L’égalité de traitement est aussi à considérer. Plus éloignés, les télétravailleurs passent à côté d’informations et d’opportunités qui leur permettraient d’évoluer dans leur carrière. Ce qui rejoint une troisième source d’inégalité, entre hommes et femmes : puisque la présence physique n’est plus un critère pour apprécier l’investissement dans le travail, les télétravailleurs doivent être réactifs et accessibles, quitte à se connecter le soir, le week-end. Or, les femmes consacrent déjà deux heures de plus par jour aux activités domestiques et familiales…