
A Hendaye, la souffrance de salariés du médico-social reconnue
Pendant plusieurs années, douze salariés d’un Institut médico-éducatif (IME) situé à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) ont dénoncé un management autoritaire. Leur ancien directeur a été reconnu coupable de harcèlement moral, jeudi 3 juillet, par la cour d’appel de Pau. Le jugement est plus lourd qu’en première instance.
Cela faisait désormais six ans qu’ils attendaient que le bras de fer arrive à son terme. À l’annonce de la décision de la cour d’appel de Pau, jeudi 3 juillet, un soulagement s’empare des salariés du « Nid Marin » d’Hendaye. L’ex-dirigeant de cet établissement médico-social vient d’être condamné en appel à un an de prison avec sursis pour harcèlement moral, ainsi qu’à une amende de 3 000 euros pour délit d’entrave au fonctionnement de l’instance représentative du personnel de cet établissement de soins, le comité social et économique (CSE). A douze salariés, et non plus treize comme ce fut le cas en première instance, la justice accorde des dommages et intérêts qui se situent entre 1 500 et 3 500 euros par personne.
Les peines sont plus lourdes que celles du jugement de première instance du 5 septembre 2023. Jean-Paul Lenoble avait alors été condamné à quatre mois de prison avec sursis, mais il avait décidé de se pourvoir en appel. La décision des magistrats de Pau clôt des années de procédures. En 2019, soutenus par le syndicat Sud Santé, quatorze salariés s’étaient constitués partie civile à la suite de la transmission d’un procès-verbal par l’inspection du travail au procureur de la République, qui synthétisait plusieurs agissements commis par l’ancien directeur du « Nid Marin ».
Huit heures d’audience pour rappeler les faits
Le 12 décembre 2024, l’audience avait été particulièrement éprouvante. Dans la salle de la deuxième chambre de la cour d’appel de Pau, ils étaient une dizaine de salariés et ex-salariés du « Nid Marin », assis au fond, à écouter attentivement le rappel des faits du président du tribunal. L’ancien directeur de cet établissement médico-social a comparu lors d’une audience longue de huit heures.
L’avocat de l’ancien directeur, Me Pierre Naitali, fustigeait une enquête de l’inspection du travail « totalement à charge » : « Plutôt que de dire que [l’ancien directeur] harcèle les salariés, elle aurait dû commencer par dire qu’il a repris la direction d’un établissement qui a fait l’objet de grosses difficultés financières. L’ARS (Agence régionale de santé, ndlr) était à deux doigts de le fermer. »
Pour comprendre la situation, il faut remonter le temps. Depuis 1985, le « Nid Marin » est composé d’un institut médico‐éducatif (IME), accueillant 25 enfants âgés de six à vingt ans atteints de troubles autistiques, et d’une maison d’accueil spécialisée (MAS) de 45 places pour adultes en situation de handicap. Il emploie une centaine de salariés. En 2015, n’arrivant pas à éponger les dettes de l’établissement qui avoisinent les 400 000 euros par an, la Croix-Rouge française, alors propriétaire des lieux, cède celui-ci à l’association Agir, soigner, éduquer, insérer (ASEI). Le directeur Jean-Paul Lenoble, recruté un an plus tôt par la Croix‐Rouge comme « manager de transition », sera pérennisé́ à son poste par l’ASEI en 2016. Mais la situation entre les salariés et le représentant de la nouvelle direction - désireuse de faire des économies drastiques - s’est déjà très vite tendue.
Licenciement et changements de postes imposés
Le 1er novembre 2015, la secrétaire de direction, employée depuis dix-neuf ans, est licenciée. « D’un discours éducatif, on est passé à un discours beaucoup plus médicalisé́. Il était question d’« hydratation » et de « soins palliatifs ». C’est tout le regard que nous portons sur les personnes accueillies qui change », raconte à Santé & travail une ancienne aide médico-psychologique.
En parallèle, les mesures ou convocations disciplinaires se multiplient. Certains salariés saisissent le conseil des prud’hommes. Le directeur de l’établissement a pris pour habitude de communiquer avec les salariés à coups de lettres recommandées. Les courriers arrivent comme des gifles. Beaucoup craignent des représailles, certains salariés de l’IME ayant été précédemment transférés à la MAS, qui accueille les adultes, où les conditions de travail sont plus difficiles.
Contre l’avis du médecin du travail, le directeur change ainsi Jean‐Pascal Galardi de poste et le transfère dans une unité́ particulièrement délicate et incompatible avec sa situation médicale. À la barre, en ce mois de décembre 2024, les mains enfoncées dans les poches, cet homme à la carrure imposante racontait le quotidien qui vacille : « C’est encore une douleur d’évoquer cette affaire. Je me suis coupé de tout le monde, je ne suis pas sorti de chez moi pendant des mois, je ne voulais plus voir personne. » De 2016 à 2018, il a été mis en arrêt maladie.
Les salariés soumis à une « gestion autoritaire »
Ce 12 décembre 2024, dans la salle de la deuxième chambre de la cour d’appel de Pau, tour à tour psychologues, représentants RH et aides-soignants ont témoigné des brimades dont ils affirment avoir été victimes. Puis il y a eu cette cadre, la voix saccadée, qui a raconté sa charge de travail en nette augmentation, les appels téléphoniques répétés ou encore l’ouverture de son courrier personnel. « Vous êtes bonne à rien », lui aurait lancé le dirigeant. « J’ai perdu plus de 10 kg, j’ai perdu mes cheveux, j’ai été atteinte d’urticaire, je ne dormais plus », s’exclamait-t-elle. Jusqu’à ce jour où elle fait une tentative de suicide sur son lieu de travail.
« Ce qui vous est reproché, c’est une gestion autoritaire avec des affectations changées brutalement, sans concertation. Il vous est également reproché des comportements qui dépassent les pouvoirs de direction d’un directeur de structure, avec une surveillance un peu tatillonne et assez rigoriste », résumait ainsi le président du tribunal.
Dans un murmure difficilement audible, l’ex-directeur concédait : « Je suis arrivé en 2014 dans un établissement avec un climat de tension énorme entre les salariés. Travailler au « Nid Marin » avec des autistes profonds est toujours difficile, je ne voulais pas que les familles se retrouvent sans prise en charge. Quand on travaille dans l’urgence, on fait des bêtises. »
Un secteur très accidentogène
À l’échelle nationale, les statistiques du secteur médico‐social dessinent un tableau sombre. Composé principalement de femmes, il obtient la triste distinction du secteur le plus touché par les accidents de trajet1 .
Les troubles musculo‐ squelettiques (TMS), qui attaquent les jambes, puis le dos, les cervicales, les vertèbres, les bras et enfin les doigts, représentent la grande majorité́ des maladies professionnelles2 . Porter les personnes en situation de handicap, pousser les fauteuils roulants…les gestes du quotidien usent les corps des salariés. Les employés du secteur médico-social sont également les plus touchés par les affections psychiques liées au travail3 .
Leur souffrance se double de précarité́, ces travailleurs gagnant en moyenne 1 137 euros par mois4 .
Entre 2016 et 2018, explosion des arrêts maladie et du turn-over
Au « Nid Marin », ces moyennes nationales paraissent enviables. De 2016 à 2018, le nombre d’arrêts maladie augmentent de 44 % pour atteindre 45 jours en moyenne par an, et 59 jours en moyenne par an à la MAS. Toutes ces absences ne sont pas remplacées, provoquant un sous-effectif chronique. Pour certains salariés, l’épuisement s’installe parfois jusqu’à la rupture : ne supportant plus la situation, ils quittent l’établissement.
Entre 2016 et 2018, 21 salariés démissionnent, un obtient une rupture conventionnelle et quatre interrompent leur période d’essai. Le recours aux contrats à durée déterminée grimpe : durant ces deux années, 178 personnes ont eu entre 1 et 93 contrats. Des contrats éclairs ne durant en moyenne que neuf jours. Entre ce collectif de travail éprouvé et cette ambiance sinistre, certains refusent même que leur contrat de travail soit renouvelé.
La hausse des risques psychosociaux constatée dès 2017
Le cercle vicieux tourne, lui, à plein régime : le turnover est tel que l’instabilité́ des équipes et la présence de personnel inexpérimenté́ rendent le travail toujours plus difficile à organiser. La pression est si importante que les éducateurs et les aides-soignants se retrouvent souvent face à un dilemme impossible à résoudre : choisir entre le bien des personnes en situation de handicap et le leur. Tous les indicateurs sont dans le rouge.
A tel point que le médecin du travail, qui officie au « Nid Marin » depuis 30 ans, demande à être déchargé de l’établissement. À plusieurs reprises déjà̀, les salariés avaient alerté l’inspection du travail ainsi que la direction de l’ASEI. En octobre 2017, un ingénieur de la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), présent lors d’un comité́ d’hygiène, de sécurité́ et des conditions de travail (CHSCT), relevait déjà̀ « une augmentation des risques psychosociaux » au sein de l’établissement, et rappelait au directeur ses obligations en matière de santé et de sécurité́ au travail.
« Les sommes et la constance des faits (…) font le harcèlement »
Mais la direction ne réagit pas. En février 2018, quelques mois après avoir émis des recommandations qui n’ont pas été suivies, l’inspection du travail met en demeure Jean‐Paul Lenoble de procéder à un diagnostic complet des risques psychosociaux. Réalisé́ par le cabinet Anteis, le rapport long de presque 50 pages donne à lire l’ampleur des dysfonctionnements. Il conclut à un management « manquant drastiquement d’écoute bienveillante et de concertation des salariés », pouvant être vécu comme « menaçant ». Ce qui entraîne pour les salariés une grosse fatigue, une perte de sens, voire de la dépression.
« Le cabinet Antéis parle de l’impact sur la santé des salariés mais [le directeur] n’entend pas. Ce sont les sommes et la constance des faits - changement de postes et d’horaires, lettres recommandée, etc - qui font le harcèlement », concluait l’avocat général lors de l’audience en appel.
Sept mois plus tard, les anciens salariés du « Nid Marin », eux, sont soulagés que cette bataille judiciaire s'achève enfin. L'ancien directeur ne s'étant pas pourvu en cassation, la décision de la cour d'appel de Pau acte donc la fin de ce bras de fer démarré il y a six ans.
- 1« Les salariés victimes d’accidents du trajet professionnel en 2019, une plus grande exposition des femmes », Dares, juin 2024.
- 2D’après les données de l’Assurance maladie 2023, 94% des maladies professionnelles reconnues dans les secteurs sanitaires et médicaux-social sont liées aux TMS. 25% des accidents du travail du secteur sont liés au mal de dos.
- 3Rapport « Santé travail : enjeux & actions » de l’Assurance maladie, 2018.
- 4D’après les recherches d’Annie Dussuet, de François-Xavier Devetter, de Laura Nirello et d’Emmanuelle Puissant pour le projet « Que sait-on du travail ? » du LIEPP qui s’appuie sur l’enquête « Conditions de travail 2019 » de la Dares.
Harcèlement moral : l’enquête interne n’est plus obligatoire, par Françoise Champeaux, Santé & travail, septembre 2024.
« Les risques psychosociaux sont particulièrement accidentogènes », entretien avec Stéphanie Boini et Régis Colin, épidémiologistes à l'INRS, par Nolwenn Weiler, Santé & travail, octobre 2023.
« 20 % des dépressions attribuables au harcèlement au travail en France », entretien avec Hélène Sultan-Taïeb Professeure en santé au travail à l’université du Québec à Montréal (UQAM), Canada, par Nolwenn Weiler, Santé & travail, septembre 2023.