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Malaise à l'hôpital

par François Desriaux / avril 2009

Des photos d'infirmières qui s'activent, débordantes de dévouement, des clichés de blouses blanches, bleues, vertes penchées sur la souffrance, les banques d'images en ont à revendre. Nous la tenions, notre une ! Et puis, finalement, non. En relisant ces pages, il est devenu évident qu'il fallait illustrer autrement ce dossier consacré aux conditions de travail à l'hôpital. UrgencesGrey's Anatomy ou Dr House, les séries cultes prisées de millions de télé­spectateurs, sont loin de la réalité. Dans la vraie vie, les héros sont découragés, épuisés même, comme sur notre couverture. Ce n'est pas sans raison qu'environ un tiers des personnels paramédicaux abandonnent leur carrière en cours de route. Un score inégalé dans d'autres professions. Taux élevé de burn out (épuisement professionnel), intensification du travail liée à la rationalisation des effectifs et à un trop grand nombre de patients à s'occuper, horaires alternants..., ce ne sont pas les motifs qui manquent. Mais cette situation n'a rien d'original. Nombre d'entreprises dans d'autres secteurs sont logées à la même enseigne. A une différence de taille près. En milieu hospitalier, le métier consiste à prendre soin de personnes malades. Encore plus qu'ailleurs, effectuer un travail de qualité pour une infirmière, une aide-soignante ou un médecin, ce n'est pas seulement faire le bon geste technique, c'est aussi développer un sens de l'accompagnement humain et empathique des patients. Un "luxe" qui va vite faire les frais du manque de temps. L'intensification du travail à l'hôpital n'a donc pas comme seule conséquence de devoir se dépêcher. Elle affecte également profondément ce qui fait sens dans le travail des soignants, contribuant ainsi à leur épuisement professionnel et à leur désorientation.

Et à ce sombre tableau vient s'ajouter la peur de commettre des erreurs dont les conséquences feront immanquablement scandale dans les médias. Les travaux scientifiques menés outre-Atlantique ont mis en évidence que l'augmentation de la charge de travail des infirmières - consécutive aux transformations des hôpitaux américains pour réduire les coûts et accroître leur efficacité - s'est accompagnée d'une forte dégradation de la qualité des soins et d'une multiplication des complications, infections nosocomiales en tête. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, une étude réalisée en 2002 dans 168 hôpitaux de Pennsylvanie a révélé que chaque patient additionnel par infirmière était associé à une augmentation de 7 % du risque de mourir dans les trente jours suivant l'admission et de 23 % du taux de burn out du personnel.

Si le diagnostic est préoccupant, les remèdes existent néanmoins, comme nous le montrons dans ce dossier. Mais le salut ne viendra ni d'une approche comptable comme celle de la tarification à l'activité, ni de la loi "Hôpital, patients, santé et territoires", en discussion au Parlement. Associer les soignants à la recherche d'une organisation capable de produire des soins de qualité, les aider à réfléchir à leur travail, aux incidents, à la formation des nouveaux, constituent des pistes plus sûres que l'établissement de procédures et de contrôles déconnectés de l'activité réelle de soins. Mais pour cela, il faut d'abord redonner un minimum de marges de manœuvre aux agents.

A Landerneau, l'hôpital psy soigne aussi le travail

par Isabelle Mahiou / avril 2009

Dans le Finistère, le mode de fonctionnement adopté par l'hôpital psychiatrique de Landerneau permet d'impliquer les patients dans le travail de soins et d'associer le personnel hospitalier à son élaboration. Une démarche exigeante mais bénéfique.

Préparation des repas, courses en ville, jardin, bric-à-brac, accueil des arrivants... Comme chaque matin, à l'hôpital psychiatrique de Landerneau (Finistère), un patient énumère les tâches et propositions du jour lors du café-accueil et inscrit les volontaires. Ce jour-là, en plus, une partie de l'après-midi sera occupée à la préparation de l'assemblée générale de l'association Treizerien, qui se tiendra dans une commune voisine. Cette association réunit des élus locaux, des soignants, des représentants d'associations et du centre hospitalier et surtout les patients, via les différents clubs thérapeutiques qui maillent le secteur 13 de psychiatrie du Finistère (voir "Repère"). Moment fort de l'année, son assemblée générale sera l'occasion de présenter les bilans d'activité des clubs.

 

Des patients actifs

"Les clubs forment le pilier de la démarche de participation des patients aux soins", indique Dany Pranchère, psychologue du secteur. Ils permettent aux patients d'être des sujets et non de simples objets de soins. Ce mode de fonctionnement s'inscrit dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle, qui considère que le dispositif dans lequel vit le patient doit offrir de multiples possibilités de transfert à travers la création de lieux variés, assurer sa liberté de circulation et son libre choix.

Avec l'appui des soignants, les clubs gèrent les ateliers du secteur, les cafétérias des lieux d'accueil, les séjours thérapeutiques, ainsi que tout autre projet. Exemple : le club Steredenn Ar Mor de Crozon a acquis en 2008 une voiture solidaire conduite par les patients. L'idée ? Permettre à ceux qui habitent la presqu'île de Crozon de se rendre à des activités et réunions, partir en gîte, aller faire des achats à Brest... Elle a été financée par une subvention de la Caisse d'épargne. "Un projet suit tout un circuit de réunions qui permet de prendre en compte sa possibilité, le peaufiner, argumenter ; les patients peuvent alors être très pertinents", explique Cathy Rolland, cadre infirmier. C'est sur des choses très concrètes, dans la vie quotidienne comme dans la gestion de projets, que s'appuie l'initiative des patients, s'exprime leur parole, se tissent des liens, se crée une ambiance qui prévient la violence.

Cette démarche, construite pas à pas avec l'ex-médecin-chef Marie-Françoise Le Roux, partie à la retraite en 2007, imprègne profondément la façon de travailler au sein du secteur. Le travail se fait en équipe, en cultivant "les petits riens qui font du lien", en responsabilisant tout le monde. "Notre travail, c'est de faciliter le soin, de le rendre possible, rappelle Cathy Rolland. Tout un chacun y participe. Les agents des services hospitaliers (ASH) aussi." Un appui précieux, car "il y a des choses que les patients ne disent pas aux soignants", constate Lætitia Bescond, ASH. Comme ses collègues, elle prend part aux réunions instituées, aux activités, aux journées d'études. Elle s'occupe aussi de l'atelier de décoration florale.

 

Un personnel investi

Des ASH aux médecins, en passant par les psychologues et les infirmiers, chacun se partage entre plusieurs activités, mais aussi entre plusieurs sites. Une véritable politique de secteur suppose en effet une continuité entre la prévention et le suivi, avec des points d'accueil proches des malades et des interactions entre eux et l'hôpital. De ce fait, les salariés circulent. "Ce n'est pas comme ailleurs, où l'on est cantonné à son atelier, témoigne Eric Bellec, ergothérapeuthe. En plus, j'anime des activités à Crozon, je vais en séjour thérapeutique, je participe à la vie du service, à des entretiens médicaux, à des visites à domicile... Il y a une polyvalence que l'on peut se créer ici. C'est un poste intéressant."

La démarche impose néanmoins une participation de tous les instants. "Tout est toujours à retricoter, retravailler", souligne Dany Pranchère. "Il faut tout le temps de la réflexion sur ce qu'on fait, comment on le fait, une écoute à tous les niveaux", relève Eric Bellec. D'où l'importance attachée aux réunions de soignants, de secteur, entre soignants et soignés. "C'est toujours une réflexion sur ce qui se passe dans le travail, sur nos pratiques", précise Michel Couill, infirmier. "C'est plus satisfaisant que de distribuer des médicaments dans une salle de soins, mais c'est exigeant pour le personnel. Il faut avoir du désir, s'engager, considère Cathy Berthou, infirmière "jardinière" et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Je me demande comment transmettre ce qu'on a mis en place aux nouvelles générations, qui n'ont plus de formation spécifique en psychiatrie. On est parti de loin dans les années 1970, j'ai peur que les grilles de l'asile ne reviennent alors qu'on les avait enlevées." Pour Eric Bellec, qui a débuté sa vie professionnelle il y a huit ans, "la souplesse du fonctionnement repose sur cet investissement de chacun. Il y a des gens qui ont été habitués à un service fermé, carré, très hiérarchisé et qui ont du mal à s'adapter"

 

repère

Le secteur 13 de psychiatrie du Finistère comprend une unité d'hospitalisation complète (51 lits), un hôpital de jour, un centre médico-psychologique (CMP) et un centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) à Landerneau, un CMP et un CATTP à Crozon et Pont-de-Buis, auxquels il faut ajouter des appartements thérapeutiques.

Exigeante pour le personnel, la démarche l'est aussi pour l'organisation. Après la lame de fond des 35 heures, les départs à la retraite ont contribué à tendre les plannings. Avec près de 12 % de main-d'oeuvre renouvelée en 2008 et dix postes d'infirmiers vacants à l'automne, la fin d'année a été difficile. Mais les renforts obtenus ont ramené un peu de sérénité, et un groupe s'est attelé à penser une nouvelle organisation. "Elle est certes moins souple qu'avant, avec des équipes référentes mieux identifiées et un roulement plus stable pour celles de l'hospitalisation complète. Mais elle respecte la circulation entre les sites et les activités, favorable à la continuité avec les patients, et présente davantage d'équité", analyse Sylvie Kerriou, cadre de santé.

 

Satisfaction

"Il faut rappeler que ça ne va pas de soi de travailler en psychiatrie, note Grégory Mengant, infirmier. Les formations, journées d'études, recherches avec notamment l'association culturelle, sorte de club des soignants, nous aident." De fait, les salariés du secteur tiennent bon : l'absentéisme - 7,4 % en 2008, 6,9 % en 2007 - y est inférieur à celui de l'ensemble des services hospitaliers de la localité. "D'une façon générale, ils se plaignent peu et sont plutôt épanouis dans leur travail. Il n'y a pas cette frustration dans la relation humaine que l'on perçoit dans les maisons de retraite, par exemple", observe Anne Le Menn, médecin du travail. "Rien à voir non plus avec les services psychiatriques de type carcéral, déclare Lise Gaignard, psychanalyste et psychologue du travail. Ici, on n'a pas honte le soir de ce qu'on a fait, le travail est satisfaisant au plan éthique." Quant à "l'efficacité" de la structure, "le secteur étant réellement appliqué, les situations de crise sont anticipées : le taux d'hospitalisations sous contrainte est de loin le plus faible du département", signale Gérard Ollivier, directeur du centre hospitalier. Et son budget rapporté à la population se situe "dans le bas de la fourchette régionale", se félicite Jean-Michel de Chaisemartin, l'actuel médecin-chef du secteur.