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Prendre soin des aides à domicile

par Stéphane Vincent / janvier 2015

L'aide à domicile est un vrai métier, mais ce n'est pas reconnu. Au-delà des préjugés sexistes, car il s'agit de femmes, cela tient à la façon dont le secteur a été structuré : multiplicité d'employeurs et de statuts, conditions d'emploi dégradées, financement au plus juste et inadapté à la réalité des tâches... Sans oublier son intégration dans les services à la personne, effaçant ainsi les spécificités du métier. Or celui-ci est complexe. Les salariées doivent gérer au jour le jour l'évolution de l'état de santé de la personne aidée, l'intervention d'autres acteurs, les contraintes posées par le domicile comme lieu de travail... Le tout pour préserver l'autonomie de l'usager, en ne faisant pas à sa place mais en l'associant. Car il s'agit d'une relation d'aide, pas d'une prestation. Cette réalité n'est pas assez prise en compte. Ces femmes qui doivent prendre soin des autres sont malmenées dans leur travail, qu'elles tentent de préserver, parfois au prix de leur santé. Il est temps de reconnaître leur rôle et de créer les conditions pour qu'elles puissent aussi prendre soin d'elles. Des expériences montrent que c'est possible.

Prendre soin des aides à domicile : ce qu'il faut retenir de ce dossier

janvier 2015

Un vrai métier, non reconnu

  • L'aide à domicile consiste à permettre à des publics fragiles - personnes âgées, handicapées... - de rester chez eux en les accompagnant dans les tâches et gestes du quotidien. Un métier complexe, que les salariées du secteur exercent dans des conditions difficiles.
  • Celles-ci doivent en effet gérer le plus souvent seules de multiples contraintes, à commencer par l'inadaptation du lieu de travail, le domicile d'un particulier, à la réalisation des tâches à accomplir. Pour définir ces dernières, les salariées doivent en outre tenir compte de l'évolution de l'état de santé des personnes aidées, de leurs demandes, comme de l'intervention d'autres acteurs : famille, personnel soignant. Cette négociation permanente du travail à réaliser avec de multiples interlocuteurs est souvent compliquée, car leurs exigences peuvent être contradictoires. Surtout, elle est constamment renouvelée et différente pour chaque particulier, la salariée devant s'adapter à chaque fois.
  • Au coeur de l'activité, il y a aussi la relation d'aide. Celle-ci suppose d'entrer dans l'intimité de la personne aidée, d'établir un lien de confiance, de partager le travail avec elle, et non de tout faire à sa place afin de préserver son autonomie. Son implication est donc nécessaire. Ce qui n'est pas toujours facile, notamment lorsqu'elle est atteinte d'une pathologie lourde, comme Alzheimer ou Parkinson. Or c'est de plus en plus souvent le cas.
  • La complexité de cette activité d'aide, réalisée surtout par des femmes, n'est pas reconnue. Parfois considérées comme des "bonnes à tout faire", les salariées ont du mal à faire respecter leur travail. Et les politiques publiques n'y aident pas. En intégrant l'aide à domicile aux services à la personne, assemblage hétéroclite de prestations aux particuliers, la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, dite "loi Borloo", a ainsi contribué à gommer les spécificités du métier, son caractère social, les compétences qu'il requiert.

Des choix politiques néfastes

  • Les contraintes et la pénibilité inhérentes au travail d'aide à domicile sont renforcées par les choix politiques qui ont été faits concernant le financement de ce secteur et les conditions d'emploi qui en découlent.
  • Du fait d'un financement de l'activité par des allocations attribuées aux particuliers, l'emploi direct des aides à domicile par ces derniers a été privilégié. Sinon, elles peuvent aussi être employées par une structure à laquelle l'usager fait appel dans le cadre du régime dit "prestataire". Les aides à domicile sont ainsi salariées tantôt d'un particulier, tantôt d'une structure (associative ou privée), avec à la clé un statut, des droits et des conditions d'emploi et de travail variables. Selon le statut ou la convention collective applicable (il y en a trois différentes), les temps de trajet entre les domiciles sont ou ne sont pas pris en charge, les salariées peuvent ou non s'adresser à un véritable employeur pour réclamer des moyens, etc.
  • Au-delà, le financement sur la base d'un tarif horaire, de plus en plus contraint dans un contexte de réduction des dépenses sociales, a des répercussions sur les salaires versés, le temps de travail, le plus souvent partiel, le nombre d'interventions, leur durée. Mais aussi sur les marges de manoeuvre dont disposent les employeurs pour accompagner les salariées, financer leur formation, prévenir les risques auxquels elles sont exposées.
  • La tendance actuelle à la réduction du tarif horaire pousse à fragmenter les interventions, sans financer l'intégralité des tâches liées au travail d'aide, ce qui contribue à l'intensifier. Les salariées sont poussées à prendre sur leurs ressources et leur temps personnel pour continuer à faire un travail de qualité, avec un coût important pour leur santé. Les accidents et maladies liés au travail sont nombreux. Cela a aussi des répercussions sur les usagers, moins bien traités, et les structures employeuses, de plus en plus confrontées à des problèmes d'invalidité, de turn-over

La prévention reste possible

  • Face aux risques professionnels pesant sur les aides à domicile, les acteurs institutionnels et les partenaires sociaux ne sont pas restés inactifs. Une mission nationale de prévention, pilotée par la Sécurité sociale, a permis de lancer plusieurs initiatives en direction des employeurs, structures ou particuliers, et des organismes chargés d'évaluer les besoins des bénéficiaires des aides, afin que les risques liés au domicile soient mieux pris en compte.
  • Du point de vue de la prévention, le régime prestataire offre aussi des possibilités du fait de la présence d'un véritable employeur et d'un encadrement collectif des salariées. Ce dernier peut les appuyer face aux demandes contradictoires qu'elles doivent gérer, en définissant ce qui peut ou non être accepté. Il peut aussi être mis à contribution pour créer des espaces de discussion sur le travail entre salariées, qui leur permettront de partager et d'élaborer des savoir-faire de protection. Sur ces démarches, le médecin du travail a un rôle à jouer. Il peut appuyer la création d'espaces collectifs ou aider les salariées isolées à mieux gérer les situations de travail les plus à risque. Sans oublier les organisations syndicales, qui accompagnent elles aussi les salariées en difficulté.
  • Enfin, d'autres pistes existent. La question du mode de financement mérite d'être posée. Celui-ci devrait favoriser le régime prestataire, et non le déstabiliser, en permettant notamment de financer les temps d'échanges et de formation hors intervention. Dans cette logique, certains départements expérimentent un financement à l'acte et non plus à l'heure, à charge pour les structures de répartir l'enveloppe entre les interventions et les autres temps nécessaires à leur bon déroulement.
  • La possibilité de passer du métier de l'aide à celui du soin à domicile permet de mieux gérer les pénibilités tout au long d'un parcours professionnel. Une piste suivie par les structures associatives, très mobilisées sur la prévention.