Acter le lien entre tumeurs cérébrales et pesticides
Un collectif de soutien aux victimes de pesticides sollicite la création par les pouvoirs publics d’un tableau de maladie professionnelle sur les tumeurs cérébrales. Selon plusieurs études, ces pathologies sont plus fréquentes chez les personnes exposées à des produits phytosanitaires.
Y aura-t-il bientôt un nouveau tableau de maladies professionnelles établissant un lien entre l’utilisation de pesticides et l’apparition de tumeurs cérébrales, comme les glioblastomes ? C’est ce que souhaite le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, qui accompagne des travailleurs malades depuis 2015. Il en a fait la demande officielle le 4 décembre 2023, en adressant un courrier à la Première ministre1
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Ces trois dernières années, les bénévoles du collectif ont aidé six personnes, toutes paysannes ou paysans, à obtenir de manière posthume la reconnaissance de leur tumeur cérébrale en maladie professionnelle. Quatre autres dossiers sont en cours d’instruction. « A chaque fois, c’est un long combat, détaille l’avocate Hermine Baron. Il faut d’abord apporter la preuve de l’exposition, en retrouvant par exemple les factures des produits utilisés. Ensuite, nous devons documenter le lien entre l’usage de ces produits et la maladie. »
Expertises à l’appui
Pour ce faire, l’avocate et le collectif s’appuient régulièrement sur deux expertises collectives de l’Inserm consacrées aux effets des pesticides sur la santé. Réalisées en 2013 puis en 2021, ces expertises « ont fait évoluer de faible à moyen le niveau de présomption du lien entre tumeur cérébrale et exposition aux pesticides », explique Isabelle Baldi, épidémiologiste et professeure en médecine du travail, qui coordonne avec un autre chercheur la cohorte Agrican. Cette dernière réunit plus de 180 000 travailleurs et travailleuses du secteur agricole, répartis sur 11 départements, et fait partie des sources sur lesquelles s’appuient les expertises de l’Inserm. Selon les dernières données de la cohorte, publiées en 2020, « les utilisateurs de pesticides ont en moyenne deux fois plus de risque de développer une tumeur du système nerveux central que les autres participants », précise Isabelle Baldi.
« Nous avons aussi la thèse de doctorat en santé publique de Clément Piel, soutenue en 2018, qui renforce l’hypothèse des liens entre les tumeurs du système nerveux central et les expositions agricoles aux pesticides », poursuit Hermine Baron. Ce travail de thèse, dirigé par Isabelle Baldi, se penche notamment sur la famille des carbamates, produits introduits à partir des années 1950 en remplacement des pesticides organochlorés. Une grande partie des carbamates sont « capables de franchir la barrière hémato-encéphalique », souligne l'auteur de la thèse. Pour les utilisateurs de cette classe de pesticides, on observe un doublement, voire un triplement des risques de tumeur cérébrale, en particulier dans les secteurs de la viticulture, de l’arboriculture, des cultures de pommes de terre et de betteraves. « Nous nous sommes penchés plus précisément sur les carbamates mais il y a beaucoup d’autres familles de pesticides », indique néanmoins Isabelle Baldi.
Continuer à investiguer
« Les connaissances s’affinent avec l’accumulation d’études, mais il reste des interrogations, reprend Isabelle Baldi. Est-ce qu’il y a une relation dose-effet ? Et est-ce qu’il y a des populations cibles ? Il faudrait continuer à investiguer. Car plus on a de connaissances, moins c’est contesté. » La chercheuse ajoute que les tumeurs cérébrales posent un problème supplémentaire : elles ne sont pas très fréquentes. Etablir des statistiques un peu solides prend donc du temps. Mais cela ne semble pas constituer un obstacle pour Hermine Baron : « Ce que l’on remarque avec les pesticides, quand on entame des démarches de reconnaissance, c’est que l’accumulation d’études permet de confirmer le lien entre les expositions et la maladie. »
Plusieurs des victimes soutenues par le collectif ont été exposées lors du traitement de leurs champs de céréales ou de leurs bâtiments d’élevage. Certaines étaient mineures au moment de leurs premières expositions, toutes ignoraient les dangers des produits manipulés et n’ont donc jamais porté de protection, alors que des soupçons existent depuis plus de trente ans sur les liens entre tumeurs cérébrales et manipulation de pesticides. « Il nous semble que nous disposons aujourd’hui des éléments nécessaires pour avoir une inscription aux tableaux des maladies professionnelles, affirme Hermine Baron. Cela faciliterait la vie des familles, en leur évitant ce parcours difficile qu’ils doivent affronter en plus de la maladie ou de la douleur lié à la perte d’un proche. »
Faciliter les démarches
Actuellement, les démarches de reconnaissance en maladie professionnelle peuvent durer plusieurs années, avec de nombreux rebondissements. Cela a été le cas pour le dossier d’Odette, décédée des suites d’une tumeur cérébrale en juin 2020, après trente ans d’exposition aux pesticides. Déposée en mars 2020, la demande de reconnaissance n’a été acceptée que trois ans plus tard, en novembre 2023, après avoir sollicité deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) et à la suite de deux audiences devant un tribunal. « Le soutien du collectif a été très important pour avoir la force de continuer les démarches », témoigne son conjoint.
« Les tumeurs cérébrales sont des maladies très graves, avec un pronostic très sombre, qui touche les patients à un âge actif », rapporte Marieke Salacroup, médecin généraliste en milieu rural dans l’Ouest de la France, dont plusieurs patients ont été atteints de tumeurs. « Pour les agriculteurs, c’est très compliqué d’être invalide, constate-t-elle. Cela entraîne une importante perte de revenu. Il est donc particulièrement important qu’ils soient indemnisés de leur préjudice. »
- 1Des copies ont été adressées aux ministres de l’Agriculture et de la Santé et à la secrétaire d‘Etat à la Biodiversité, ainsi qu’à la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap).