"Alimenter un dialogue sur les enjeux du travail"

entretien avec Pascale Levet, directrice technique et scientifique de l'Anact
par François Desriaux / janvier 2013

L'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) a organisé en octobre la 9e Semaine pour la qualité de vie au travail. Que recouvre cette notion ? Réponses de Pascale Levet, directrice technique et scientifique de l'Anact.

Pourquoi une Semaine pour la qualité de vie au travail ?

Pascale Levet : Depuis 2003, le réseau de l'Anact propose ce rendez-vous annuel aux acteurs sociaux pour débattre au niveau national et en région de l'amélioration des conditions de travail, sur des thèmes tels que les troubles musculo-squelettiques, l'allongement de la vie professionnelle, ou encore les risques psychosociaux. En juin prochain, il portera sur... la qualité de vie au travail !

Ce terme peut donner l'idée que le travail lui-même n'est plus un enjeu. Ne serait-il pas plus pertinent de promouvoir la qualité du travail ?

P. L. : Depuis dix ans, cette notion et sa définition ont sensiblement évolué. En 2007, l'Anact a proposé sa propre définition de la qualité de vie au travail, reprise in extenso par les partenaires sociaux lors de la conférence sociale de juillet 2012. Celle-ci englobe :

  • les relations sociales et de travail : reconnaissance du travail, respect, écoute, information, dialogue social, participation aux décisions ;
  • le contenu du travail : autonomie, variété des tâches, degré de responsabilité ;
  • l'environnement physique : sécurité, ambiances physiques ;
  • l'organisation du travail : qualité de la prescription, capacité d'appui de l'organisation dans la résolution des dysfonctionnements, démarches de progrès, réduction de la pénibilité, anticipation de la charge de travail ;
  • les possibilités de réalisation et de développement professionnels : formation, acquis de l'expérience, développement des compétences ;
  • la conciliation entre vie professionnelle et vie privée : rythmes et horaires de travail, accès aux services, transports, garde des enfants.

Entre-temps, les risques psychosociaux sont apparus, et avec eux des débats tendus sur la stratégie à adopter pour y faire face : dénoncer la souffrance, ou bien remettre en visibilité le travail, sa participation à la construction de la santé et à la création de valeur. La deuxième option est au coeur de la négociation en cours entre les partenaires sociaux sur la qualité de vie au travail.

Mais attention à ce qu'une définition très complète de cette dernière ne conduise pas les acteurs de l'entreprise à se doter d'une couche supplémentaire de prescriptions, nourrissant des "machines de gestion" au lieu d'alimenter un dialogue sur les enjeux du travail. C'est ici que qualité de vie au travail et qualité du travail ne peuvent s'ignorer...

Ne faudrait-il pas aussi donner aux salariés davantage de possibilités de débattre de leur travail, en renforçant la démocratie ?

P. L. : La période est paradoxale. D'un côté, le travail est redevenu un objet de débat. Mais d'un autre côté, dans les entreprises, les démarches le concernant tendent à convoquer des experts, ou des questionnaires censés objectiver les problèmes en les quantifiant. Bref, on cherche à légitimer des questions en les validant sur un plan "technique", mais en négligeant le plan politique. Or ce dernier demeure central : le traitement d'une question sociale, comme le travail, requiert des acteurs capables de produire des conventions partagées pour trouver de nouveaux compromis.

C'est précisément ce qui est difficile dans la période actuelle. L'enjeu est de passer d'une vision du travail en tant qu'exposition à des risques à celle d'un travail source d'engagement et de développement de la capacité à agir. Or le consensus sur cette transition n'est pas acquis. Aller directement à "la" solution, la démocratie, peut être porteur de confusions.