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Amiante : vers une reconnaissance des cancers digestifs ?

par Corinne Renou-Nativel / 04 juillet 2024

Plusieurs cas de cancers digestifs liés à l’amiante ont été récemment reconnus comme maladies professionnelles.  Si certaines études plaident en faveur d’un lien de causalité, d’autres travaux seraient nécessaires pour une confirmation épidémiologique.

Le lien est établi de longue date entre exposition à l’amiante et cancers de la plèvre et broncho-pulmonaires. En 2022, sur la base d’études publiées par le Centre international recherche sur le cancer (CIRC), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a confirmé que l’amiante est aussi à l’origine de cancers du larynx et de l’ovaire. Aujourd’hui, la question d’un lien se pose pour certains cancers digestifs. En quelques mois, plusieurs patients atteints de ces pathologies ont obtenu la reconnaissance en maladie professionnelle à la suite d’expositions professionnelles à l’amiante. 
En septembre 2023, les ayants-droits d’un mécanicien monteur devenu technicien qualité, décédé en mai 2022 d’un cholangiocarcinome ou cancer des voies biliaires, ont obtenu cette reconnaissance. En mars 2024, le « lien direct et essentiel » entre l'exposition professionnelle et la pathologie est admis par un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour un manœuvre des hauts-fourneaux devenu électricien industriel, également exposé à l’amiante et décédé en novembre 2019 de la même pathologie. 

Un lien direct et essentiel

Faute de tableaux de maladies professionnelles pour ces pathologies, ces reconnaissances ont été accordées par des CRRMP. Dans les deux dossiers, l’exposition à l’amiante était avérée. « L'un souffrait déjà d'un cancer broncho-pulmonaire pris en charge par son organisme social comme maladie professionnelle liée à une exposition à l'amiante, et également indemnisé par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante [Fiva, NDLR] », explique Marion Jorand, avocate du cabinet Ledoux et associés en charge de ces deux affaires. Le CRRMP de Normandie a d’abord refusé d’établir le lien direct et essentiel entre l’exposition à l’amiante reconnue et ce cancer des voies biliaires, avant que le comité de Bretagne le reconnaisse. « J’avais fourni différentes études publiées en 2013 et 2017, poursuit l’avocate. Les experts du CRRMP ont apporté de l’eau au moulin avec des articles parus en 2018 et 2022, qui retiennent le lien entre le cancer des voies biliaires et l’exposition à l’amiante. Nommé en tant qu'expert par la Cour d'appel dans le cadre de la contestation d'un rejet d'indemnisation par le Fiva, le professeur Thomas Similowski, pneumologue, a mis en évidence que de nombreuses études scientifiques récentes soulignaient un risque accru très important de développer un cancer des voies biliaires en cas d’exposition à l’amiante. » 
Dans le deuxième dossier, le salarié travaillait pour le compte d'une entreprise inscrite sur les listes ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata). « Dans les deux cas, ces expositions à l’amiante ne faisaient pas débat et aucune des victimes ne présentait les facteurs de risque habituels du cancer des voies biliaires que sont les maladies préexistantes du foie, comme l’hépatite ou la cirrhose, la consommation d’alcool le surpoids, ou une maladie rare comme la cholangite sclérosante primitive », souligne Marion Jorand.
 

Diffusion des fibres

Expert membre du CRRMP de Bretagne, émetteur de l’avis favorable de mars 2024, le professeur Christophe Paris, chef du service Santé au travail et pathologie professionnelle au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes, souligne toutefois que la rareté de ce cancer des voies biliaires rend difficile une confirmation épidémiologique de sa relation avec une exposition à l’amiante. « Il faut réaliser des études pour avoir davantage d’éléments en faveur de ce lien. Pour ce patient en particulier, l’exposition à des cancérogènes, notamment l’amiante et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), et son absence de facteurs de risques extraprofessionnels plaidaient dans le sens d’une relation. » Pour rendre son avis, Christophe Paris s’est appuyé sur une littérature récente : « Un article de Kurt Straif, épidémiologiste du CIRC, évoque de plus en plus de preuves allant dans le sens d’une relation causale entre cancer intrahépatique des voies biliaires et exposition à l’amiante. »  
La relation possible entre cette fibre et les cancers de l’œsophage et du côlon, plus fréquents, est davantage documentée. Dans le cas de l’ingestion d’amiante, qui peut provoquer des cancers digestifs, deux mécanismes entrent en jeu, explique Christophe Paris : « Lorsque l’amiante est inhalée, la cible directe est le poumon, mais des fibres se transloquent, c’est-à-dire qu’elles traversent les parois et se diffusent, comme celles qui se retrouvent dans le péritoine et dans les ovaires. » Un deuxième phénomène est lié au fait que le poumon élimine une partie des poussières inhalées. « Ce processus de protection les achemine jusqu’au carrefour laryngé, poursuit le médecin. Avec la déglutition, elles repassent par la filière digestive. Environ 10 % de ce qui est inhalé remonte via le système mucociliaire et repart vers l’œsophage. »
Dans le cadre de son activité, Marion Jorand est également de plus en plus souvent en contact avec des clients exposés à l’amiante et atteints de cancers des voies biliaires. Une évolution que les médecins commencent à prendre en compte, indique-t-elle : « Le professeur Thomas Similowski m’a expliqué que, face à des patients atteints de ces cancers, de plus en plus de gastro-entérologues élargissent le champ de leurs questionnaires au parcours professionnel, afin de déterminer s’il existe une possible exposition à l’amiante. »
 

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