Nathanaël Mergui/Mutualité française
Nathanaël Mergui/Mutualité française

Après France Télécom, réviser le Code du travail

par François Desriaux / 20 décembre 2019

Alors que le verdict du procès France Télécom est tombé, des syndicalistes, des juristes et des chercheurs lancent un appel. Et invitent à renforcer la législation en matière de prévention et de réparation de la souffrance au travail.

Dans l’attente du délibéré, rendu public aujourd’hui (voir l'encadré ci-dessous), ils ont réfléchi. « Ils », ce sont des syndicalistes, des chercheurs, des juristes qui ont travaillé, de près ou de loin, sur le procès France Télécom en aidant les avocats des parties civiles à le préparer. Ceux-là, à l’image de Patrick Ackermann, ancien responsable de SUD PTT, connaissent le dossier mieux que personne. Les voilà qui lancent un appel afin que soient traduits dans la loi de nouveaux droits visant à mieux prévenir les pathologies psychosociales. A rendre illégales les pratiques de management qui génèrent de la souffrance. A fournir des armes juridiques aux institutions représentatives du personnel pour lutter contre des organisations du travail délétères. Selon eux, « le débat social sur la souffrance au travail – dont les suicides sont la manifestation extrême – dure depuis plus de vingt ans et dépasse largement France Télécom, peut-on lire dans le texte de l’appel dont Santé & Travail s’est procuré une copie. Il trouve son origine dans la financiarisation des entreprises et des services publics, qui a mis sous pression le travail en multipliant les contraintes de rythme, l’individualisation, les procédures tatillonnes, les objectifs chiffrés, le reporting permanent et les réorganisations incessantes. Niant le travail vivant, ce management a rétréci l’autonomie individuelle et collective. Il a intensifié le travail et l’a vidé de son sens en le réduisant à des indicateurs quantitatifs ».

Nouvelle définition du harcèlement

Aux côtés de Patrick Ackermann, on retrouve d’autres signataires comme le cégétiste Alain Alphon-Layre, le professeur de droit social Emmanuel Dockès, l’économiste Thomas Coutrot ou encore le professeur de médecine légale Michel Debout, réunis au sein de l’association « Ateliers travail et démocratie ». Dans l’appel, intitulé « Après France Télécom : de nouveaux droits démocratiques pour la santé au travail et l’environnement », les auteurs proposent d’abord une nouvelle définition juridique du harcèlement moral, tenant compte des connaissances scientifiques. Il s’agit de qualifier ce que sont les agissements répétés à l’égard d’un salarié : « La fixation d’objectifs excessifs ou irréalistes, la prescription d’un travail déqualifiant, les comportements méprisants ou humiliants, la mise à l’écart des collectifs de travail, l’obligation faite de mentir ou de violer l’éthique et la déontologie professionnelles, l’instauration d’un sentiment d’insécurité permanente », qui ont pour objet ou pour effet « une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Un nouveau comité travail, santé, environnement

Puis ils détaillent l’arsenal juridique. Avec des mesures classiques, comme le renforcement des moyens et des prérogatives de l’Inspection du travail et l’indépendance de la médecine du travail. Les signataires insistent sur la nécessité d’améliorer la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, en particulier les affections psychiques. Ils prônent l’interdiction de la sous-traitance dans les entreprises à risques. Plus novatrice est la proposition de créer un comité travail, santé, environnement dans les entreprises, élu au suffrage direct par les salariés et disposant d’un « droit de véto suspensif ». Voilà qui devrait susciter la polémique, alors que les CHSCT viennent d’être supprimés et peinent à être remplacés par les CSE.
Tout aussi novatrice et porteuse de controverse est l’idée de renforcer la pénalisation des « crimes sociaux et environnementaux ». Pour remédier à l’absence de sanctions pénales en cas d’absence de prévention des risques professionnels – physiques, chimiques ou organisationnels – les signataires estiment que « la loi pourrait édicter que toute action organisée dont les conséquences délibérément consenties par les auteurs conduisent à mettre en danger la santé ou la vie des personnes par la violation d’une obligation de sécurité prévue par la loi ou les règlements, est considérée comme un crime social. Les sanctions seraient graduées en fonction de la gravité des conséquences observées ». Enfin, le texte invite à « réinventer le droit d’expression des salariés sur leur travail ». Considérant que cette avancée des lois Auroux de 1982 n’a pas tenu ses promesses, les auteurs appellent à « reconnaître pleinement ce droit », en confiant aux travailleurs « l’organisation des espaces de délibération sur le travail ». Avec quatre heures de crédit par mois pour s’y consacrer, et une liberté d’expression garantie.