©AdobeStock Les médecins généralistes, premiers témoins de l’augmentation des pathologies liées aux conditions de travail.
©AdobeStock Les médecins généralistes, premiers témoins de l’augmentation des pathologies liées aux conditions de travail.

Arrêt de travail : le burn out n’est pas un motif de complaisance

par Alexia Eychenne / 24 juin 2024

Alors que les médecins qui établissent un lien entre travail et pathologies psychiques subissent de plus en plus de pressions, le Conseil d’État vient de donner raison à une généraliste sanctionnée par le Conseil de l’ordre.

Un médecin a-t-il le droit de délivrer un arrêt de travail à un salarié au motif qu’il l’estime victime d’épuisement professionnel ? Alors que les praticiens subissent de plus en plus de pressions de la part du Conseil de l’ordre visant à limiter leur appréciation relative à l’origine professionnelle d’une pathologie, et que ceux qui résistent s’exposent à des sanctions, le Conseil d’État apporte sa contribution au débat. Dans un arrêt rendu le 28 mai 2024, la plus haute juridiction administrative s’est penchée sur un litige qui oppose depuis sept ans le Conseil de l’ordre des médecins à une praticienne, donnant raison à cette dernière.
L’affaire remonte au 27 juin 2017, quand la docteure C., médecin généraliste en Moselle, délivre un avis de prolongation d’arrêt de travail à une patiente. Sur le volet destiné au médecin-conseil de l’assurance maladie, elle inscrit la mention « burn-out » dans la rubrique des « éléments d’ordre médical ». L’employeur, la société Envie 2 E Lorraine, prend connaissance de cette indication relevant pourtant du secret médical, et porte plainte auprès de l’ordre des médecins. L’entreprise estime que la praticienne aurait enfreint ses obligations déontologiques en signant un « rapport tendancieux » ou un « certificat de complaisance ».

« Une réaction à une situation de travail »

La chambre disciplinaire de l’ordre dans le Grand Est valide son argumentaire et inflige, le 9 octobre 2020, un avertissement à la praticienne. Deux ans plus tard, le Conseil de l’ordre à l’échelle nationale rejette l’appel formé par la professionnelle. D’après ces instances, la généraliste ne pouvait se fonder sur les seules déclarations de sa patiente pour constater l’existence d’une pathologie en lien avec les conditions de travail. Elle aurait dû, pour cela, disposer d’une analyse des conditions de travail réalisée par un médecin du travail. Le Conseil de l’ordre dit s’appuyer sur des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS). Dans la phase de repérage du syndrome d’épuisement professionnel, celle-ci estime que, « dans l’intérêt du patient et avec son accord, il est indispensable qu’un échange ait lieu entre le médecin du travail et le médecin traitant ».
La docteure C. saisit alors le Conseil d’État pour lui demander d’annuler la sanction. Lequel vient de s’exécuter. « J’ai soutenu qu’un médecin, en interrogeant le patient, peut déceler que son affection peut être une réaction à une situation de travail, sans présumer de conditions de travail anormales ou d’un comportement fautif de l’employeur, explique maître Yves Richard, avocat de la docteure C. L’analyse précise des conditions de travail n’est donc pas une condition requise pour attester d’un burn out. » Le Conseil d’État juge que l’observation de la docteure C. « ne saurait caractériser l’établissement d’un certificat tendancieux ou de complaisance ».

Les généralistes en première ligne

L’affaire est donc renvoyée devant la chambre disciplinaire de l’ordre, qui devra réexaminer le dossier à la lumière de cet arrêt. Et en finir avec les sanctions à l’égard des médecins qui établissent un lien entre souffrance psychique et travail ? « On prend acte de cette décision qui protège un peu les médecins, mais cela reste de la jurisprudence, et non une protection absolue  », commente Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint du syndicat MG France.
Les médecins généralistes, prévient-il, sont les premiers témoins de « l’augmentation considérable des pathologies liées à l’ambiance de travail ». « On nous reproche de prescrire trop d’arrêts maladie, mais la souffrance au travail en est un motif essentiel », rappelle Jean-Christophe Nogrette. Ce poste privilégié d’observateurs place les généralistes en difficulté. Lorsque les employeurs accèdent au certificat d’arrêt de travail envoyé à la Sécurité sociale, par exemple dans le cadre d’une procédure aux prud’hommes, ils « déposent systématiquement plainte contre le médecin rédacteur devant l’ordre pour ‘certificat de complaisance’ », note le service juridique de la Fédération des médecins de France (FMF), autre syndicat de la profession. Les conseils de l’ordre « se trouvent ainsi surchargés par ces dossiers où le médecin est mêlé, malgré lui, dans un conflit employeur-employé. Cela représente plusieurs dossiers chaque mois ».
Dans ce contexte, si les praticiens pourraient contribuer à une meilleure reconnaissance de l’épuisement professionnel, il n’est pas dit que l’arrêt du Conseil d’État suffise à contrer le climat de suspicion qui pèse sur eux. « Je ne suis pas très optimiste. Cette décision ne suffira pas à changer la peur du contentieux, soupire Jean-Louis Zylberberg, président de l’Association Santé et médecine du travail (A-SMT), médecin du travail lui-même attaqué pour certificat de complaisance dans une autre affaire. Beaucoup de généralistes ne prennent déjà plus le risque d’écrire quoi que ce soit et renvoient les salariés vers les médecins du travail. » Lesquels subissent des pressions toujours plus virulentes.
 

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