Bilan de santé négatif chez les soignants
L’état de santé des soignants inquiète les acteurs de prévention qui en ont la charge. Réunis le 18 novembre, ils ont brossé un tableau plutôt noir des conditions de travail à l’hôpital et de leurs effets, en évoquant néanmoins des pistes d’amélioration.
« Tous les experts de l’observatoire ont démissionné de leur fonction début novembre », déclare Philippe Colombat. Professeur d’hématologie à Tours, ancien responsable de service hospitalier, il était encore tout récemment président de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social (ONQVT). Mais il vient de jeter l’éponge, comme l’ensemble de ses collègues. Cet observatoire installé en juillet 2018 a pour mission de produire des connaissances pour améliorer les conditions de travail au sein des établissements de santé. Un défi difficile à relever compte tenu de la dégradation de la situation à l’hôpital.
La question des conditions de travail des soignants a été relancée récemment dans le débat public, à la suite d’un avis publiée le 5 octobre par le Conseil scientifique, lequel avançait le chiffre de 20 % de lits hospitaliers fermés en raison d’un grand nombre de postes vacants. Sachant que plusieurs études ont déjà montré l’état d’épuisement dans lequel se retrouvent les soignants, après plusieurs mois de pandémie. Face à l’épidémie précoce de bronchiolite, au retour en force des pathologies hivernales et, surtout, à une cinquième vague redoutée de Covid-19, les hôpitaux et les soignants pourront-ils encore une fois tenir et assurer les soins nécessaires ? La question se pose.
Des professionnels traumatisés et en burn-out
Les conséquences de la pandémie sur la santé mentale des soignants font en tout cas partie des préoccupations des acteurs de la santé au travail en milieu de soins, sujet qu’ils ont évoqué lors d’une journée en ligne organisée par l’Institut Santé-Travail Paris-Est, le 18 novembre dernier. « Près de 60 % des soignants présentent des symptômes de stress post-traumatique », a souligné Wissam El-Hage, professeur de psychiatrie adulte au centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours. Un résultat issu d’une étude menée après la première vague épidémique par le centre régional de psychotraumatologie du CHU, auprès d’un peu plus de 1 000 soignants travaillant dans des hôpitaux universitaires. Celle-ci pointe aussi l’importance des symptômes de burn-out modérés et sévères, qui concernent près de la moitié des professionnels de santé.
Une autre étude française, menée après la seconde vague auprès des soignants de réanimation, signale des taux élevés de symptômes d’anxiété (60 % des répondants), de dépression (36 %), de troubles de stress post-traumatique (28 %) et d’épuisement professionnel (45 %). Des résultats qui ont conduit le Conseil scientifique à alerter les pouvoirs publics. Pour suivre l’évolution de l’état psychologique des soignants confrontés à l’épidémie, mais aussi des personnels des établissements pour personnes âgées (Ehpad), le CHU de Tours vient de lancer une recherche, intitulée Hard Covid-19. Les soignants volontaires participant à l’étude pourront si besoin bénéficier d’un accompagnement médico-psychologique.
Industrialisation du travail et perte de sens
Cependant, la pandémie ne peut être tenue pour seule responsable du délitement de l’hôpital et de la souffrance des soignants. « Les économies de personnels ont orienté largement les politiques publiques depuis des années. Un tiers des lits a été fermé en trente ans, la dette des hôpitaux a été multipliée par trois », rappelle Fanny Vincent, sociologue du travail et chercheure à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne. Pour la sociologue, la logique d’industrialisation du travail à l’hôpital s’est traduite par une intensification de ce dernier, une augmentation de la productivité et une flexibilisation de la main-d’œuvre. Avec, comme conséquence, un sentiment de perte de sens et de « qualité empêchée », c’est-à-dire de ne pas pouvoir effectuer correctement son travail.
Les dernières données du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), portant sur la période de 2001 à 2019, donc avant la pandémie, montrent que les atteintes à la santé les plus fréquentes chez les soignants sont les affections dermatologiques, les troubles musculosquelettiques (TMS) et les psychopathologies. Les troubles psychiques, en majorité des syndromes anxio-dépressifs, arrivent en tête des consultations des médecins (46 % des cas). Pour les aides-soignantes, ce sont les TMS qui représentent le motif de recours prédominant (44 % cas). Enfin, les dermatoses sont la première cause de consultation des infirmières (44 %), suivies des psychopathologies (20 %). Une « mauvaise qualité de la relation au travail », par exemple des conflits ou un manque de soutien de la hiérarchie ou des collègues, apparaît comme la situation la plus associée aux syndromes anxio-dépressifs.
Démarches participatives
Face à ces constats plutôt décourageants, quelles sont les pistes de prévention ? Le site internet de l’ONQVT présente des retours d’expériences, des témoignages, guides et préconisations. Son ancien président, Philippe Colombat, reste un fervent partisan des démarches participatives. « Elles diminuent l’absentéisme et le turn-over, améliorent la QVT mais aussi la qualité des soins perçue par les patients », a-t-il plaidé lors de la journée organisée par l’Institut Santé-Travail Paris-Est. Une circulaire du ministère de la Santé du 6 août dernier, publiée dans le cadre du Ségur de la santé, présente ce type de démarche comme une bonne pratique. « Nous faisons depuis des années les mêmes recommandations », a ajouté Philippe Colombat, malgré tout dubitatif sur la portée de la circulaire.
Quelques exemples de démarches participatives ont été donné le 18 novembre. Marlène Cheyrouze, ergonome à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, a ainsi montré qu’une réflexion engagée avec les acteurs des soins pouvait permettre de réorganiser le travail et d’augmenter les précieux temps de transmission entre équipes. Dans une autre expérience, des agents d’Ehpad publics dans le Loir-et-Cher ont été formés par un ergonome, afin d’observer leurs pairs, ces observations venant nourrir des échanges sur les pratiques. La mise en place de tels espaces de régulation et discussion autour du travail réel demande de dégager du temps pour les personnels. Un effort à contre-courant des objectifs gestionnaires sur la chasse aux temps morts ayant cours dans les établissements aujourd’hui et visant à rationaliser le travail de soin.