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Bras de fer à la Poste sur la charge de travail des facteurs

par Clotilde de Gastines / 25 août 2020

Dans les Hauts-de-Seine, la justice a ordonné l’arrêt d’une réorganisation du courrier à la Poste, pour défaut d’évaluation de la charge de travail des facteurs. Le résultat d’une action concertée de plusieurs CHSCT et du syndicat SUD Poste 92.

Tout commence début mai, lorsque la direction de la Poste présente un projet de « déconfinement progressif », comprenant « des mesures exceptionnelles à caractère provisoire ». Celles-ci prévoient la mise en place d’une nouvelle organisation du travail unique, à l’échelle nationale, pour les agents de la branche courrier. Ils travailleront en moyenne 35 heures mais selon un nouveau régime baptisé « 5+1 » : 3 semaines de 33 h 40, suivies d’une semaine de 39 heures, avec un samedi travaillé par mois. C’est une première. Habituellement, chaque directeur d’établissement définit les cycles de travail de ses effectifs, en fonction des caractéristiques de son territoire : densité, superficie...
Plusieurs CHSCT franciliens, notamment dans les Hauts-de-Seine, mais aussi du côté de Bordeaux et de Dieppe votent des expertises. « On s’est très vite aperçu que la nouvelle organisation du travail était décorrélée de la prévention contre le Covid-19. Ce projet de déconfinement progressif était en réalité une réorganisation qui ne disait pas son nom », estime Marc Raffenne, du cabinet Addeo Conseil, sollicité par les CHSCT. Le projet inquiète les élus du personnel, concernant notamment ses impacts sur la charge de travail, sujet abordé par les différentes expertises.

100 000 euros d’astreinte par jour

Le 26 mai, huit des neuf CHSCT présents dans les Hauts-de-Seine et le syndicat SUD Poste 92 assignent le groupe La Poste en référé. Les CHSCT estiment n’avoir été ni informés, ni consultés dans les règles sur ce projet de réorganisation important. Un mois plus tard, le tribunal judiciaire de Nanterre rend une ordonnance de référé qui leur est particulièrement favorable. Le passage au « 5+1 » est interdit sur leurs établissements, sous peine d’une astreinte de 100 000 euros par jour, car la charge de travail n’a pas été correctement évaluée par l’employeur. Les juges s’étonnent que la Poste n’ait pas eu recours à sa traditionnelle « méthode de conduite du changement », une procédure normalisée qui repose notamment sur des « normes et cadences ».
La charge de travail dont il est question concerne, au sens littéral, le poids du sac du facteur, qui dépend du nombre d’objets à distribuer, mais aussi le temps dédié au tri, à la collecte et bien sûr à la distribution. « A la Poste, le travail est extrêmement prescrit, explique Marc Raffenne. Tout est évalué par l’algorithme Géoroute : le nombre d’objets, leur taille, leur poids, leurs formats et toutes les manipulations sont minutées au millième de seconde près, que ce soit le recommandé, dont le temps de délivrance estimé à une minute et demie est largement dépassé, ou le dépôt de la presse papier. » Lors des expertises, la Poste n’a donné aucun élément sur cette charge de travail aux CHSCT ou aux experts. « Alors qu’elle n’a qu’à extraire les données existantes », s’étonne Nicolas Bouhdjar, du cabinet CEDAET.

Des samedis à risques

Dans la nouvelle organisation, la charge de travail risque d’être accrue du fait de la variabilité des tournées. Si un facteur est absent, ses collègues assurent déjà une partie de sa distribution. Cette « sécabilité » des tournées était néanmoins jusqu’à présent limitée. Avec le « 5+1 », les facteurs travailleront alternativement un samedi sur 4. « Cela équivaut à faire travailler 25 % du personnel sur 100 % du périmètre de la ville, soit un périmètre énorme à faire entrer dans le timing d’une tournée », précise Roselyne Rouger, secrétaire du CHSCT de Nanterre-La Défense. Le « haut le pied », la distance entre la zone de départ et la zone d’arrivée pour la distribution, passerait a minima de 8 à 16 km.
Au-delà de la distance à parcourir, les syndicalistes réclament également que l’employeur octroie à ses agents un temps de tri suffisant. L’ordonnance du tribunal demande à la Poste de prévoir une souplesse en la matière, afin de pouvoir intégrer les aléas en termes de charge de travail, notamment dans une situation d’incertitude comme celle générée par la crise sanitaire, et d’estimer le temps requis par les tâches supplémentaires liées aux mesures de prévention face au Covid-19, telle que la désinfection des positions de travail et des véhicules.

Manque de personnel

Pour sa part, la Poste a expliqué qu’elle ralentirait le trafic sur les plateformes industrielles du courrier (PIC), afin de ne laisser passer le samedi que les plis urgents et la presse. Un argument qui ne convainc pas les élus SUD Poste 92. « Ce qui nous guette, c’est qu’on nous impose le courrier en retard », redoute Brahim Ibrahimi, secrétaire départemental du syndicat. Une crainte confirmée par Roselyne Rouger, qui rappelle que le samedi sert déjà à distribuer le courrier en retard, la Poste étant en « manque de personnel pendant la semaine depuis que la grande majorité des contrats de CDD et d’intérimaires ont été suspendus en mars dernier ».
La direction de la Poste a fait appel de cette décision de justice et devra attendre le 24 septembre prochain pour connaître la position de la cour d’appel de Versailles. Contactée par nos soins, elle réserve ses commentaires pour après cette date.