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Ça coince pour la réforme des maladies professionnelles

par Eliane Patriarca / 26 janvier 2022

L’exécutif souhaitait créer au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct) un groupe de réflexion pour améliorer la réparation des maladies professionnelles plurifactorielles. Mais faute de garanties demandées par les syndicats, l’initiative est ajournée.

A l’initiative de la direction générale du Travail (DGT), un groupe de réflexion sur la reconnaissance des pathologies professionnelles, et notamment des maladies plurifactorielles ou à effet différé, devait être mis en place hier au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). Placé sous la responsabilité de Paul Frimat, le président de la commission spécialisée relative aux pathologies professionnelles (CS4) du Coct, ce groupe devait à l’origine répondre aux préconisations de deux rapports. Le premier, daté de juin 2021, émane de la commission chargée d’évaluer tous les trois ans le coût pour l’Assurance maladie de la sous-déclaration en accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), estimé entre 1, 2 et 2,1 milliards d’euros par an. Le second, sorti en octobre 2021, est celui de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale : il recommande de « moderniser le dispositif de reconnaissance et réparation ».

Protéger la présomption d’origine

Dépoussiérer ce système rigide et engorgé est une nécessité, les cinq syndicats de la CS4 en sont convaincus. Pourtant, en décembre dernier, c’est par une levée de boucliers unanime qu’ils ont accueilli la première version du projet transmis au groupe de travail. Leur crainte : que celui-ci ne soit qu’un faux-nez pour remettre en question la présomption d’origine professionnelle, l’un des fondements juridiques de la reconnaissance. « Pour nous, et toutes les organisations syndicales, c’est une ligne rouge ! », prévient Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT.
Et effectivement, dans les missions attribuées initialement au groupe de travail, figurait notamment un « débat sur le cadre juridique de la présomption d’origine professionnelle » et l’« analyse des approches scientifiques pour appréhender la plurifactorialité et plus particulièrement la notion de part attribuable aux différents cancers par secteur ».

L’éternel cheval de bataille des employeurs

La présomption d’origine, c’est ce qui permet à un salarié atteint d’une pathologie figurant dans l’un des tableaux de maladies professionnelles, de ne pas avoir à prouver le lien de causalité entre sa maladie et son travail : celle-ci est automatiquement présumée d'origine professionnelle dès lors que les conditions du tableau sont remplies. En contrepartie, la réparation du dommage, financée par les cotisations des employeurs, est forfaitaire et partielle. En revanche, si la maladie ne figure dans aucun tableau ou si toutes les conditions du tableau ne sont pas satisfaites, l’assuré doit démontrer le lien de causalité devant un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).
« C’est l’éternel cheval de bataille du patronat : faire “sauter” la présomption d’origine. Il ne veut pas payer pour réparer, assure Olivier Tompa, représentant CGT à la CS4. Le Medef et la CPME réclament depuis longtemps une réparation des MP “proportionnelle”, c’est-à-dire calculée en fonction de fractions attribuables aux différentes causes de la maladie. » Par définition, une maladie plurifactorielle, comme le cancer, est susceptible de tenir à plusieurs causes, d’origine professionnelle et/ou non professionnelle (tabac, alcool, alimentation, pollution de l’atmosphère, sédentarité, prédispositions génétiques).

Risques d’une réparation amoindrie

« C’est un sujet excessivement sensible entre le patronat et les organisations syndicales depuis la création de la branche AT-MP, souligne Catherine Pinchaut. Celui-ci multiplie les tentatives de déporter la responsabilité de la maladie sur la sphère privée. On le voit aussi avec les pathologies psychologiques : les employeurs essaient de renvoyer la cause des décompensations à la vie familiale et sociale. » Pour les cancers, c’est encore plus flagrant. « Dans le cas du cancer broncho-pulmonaire d’un ouvrier exposé à des fumées ou substances cancérigènes, le diagnostic différentiel conduit à insister sur sa consommation de tabac comme facteur de risque, à pondérer chaque facteur, et à indexer la réparation éventuelle en proportion », explique Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail et suppléant CGT à la CS4. Et accorder un rôle prédominant aux facteurs individuels ou comportementaux conduit à une réparation moins systématique et réduite.

Insister sur les expositions professionnelles

Afin de rassurer les syndicats, la DGT s’était engagée à revoir sa copie pour le 25 janvier. Las, hier, la nouvelle version du mandat du groupe de travail ne les a pas convaincus. Si toute référence à la présomption d’origine a bien disparu du texte, « ce projet ne nous semble pas mûr » et « nécessite des compléments d’information et de garanties quant à ses finalités », ont-ils répondu dans un front uni. En cause, cette formulation du thème de réflexion qui suscite l’inquiétude : « Les pathologies plurifactorielles dont l’apparition dépend de plusieurs facteurs génétiques et environnementaux ainsi que les pathologies à effet différé, et plus particulièrement, les cancers. » Les organisations syndicales ont demandé la suppression de cette phrase et l’ajout « d’éléments liés à la prévention et aux notions d’exposition professionnelle ». Elles refusent aussi de « prendre en compte les aspects juridiques de la reconnaissance », comme le demande la DGT, arguant que la CS4 est une commission purement technique.

Des comités de reconnaissance saturés

Néanmoins, si ces garanties leur sont données, et toute ambiguïté levée, avec l’objectif clair de « formuler des recommandations pour améliorer la reconnaissance des pathologies professionnelles, et en particulier des maladies plurifactorielles ou à effet différé », les syndicats sont partants. « La CGT y participerait, indique Olivier Tompa, car nous souhaitons faciliter l’élaboration de tableaux de maladies professionnelles pour soulager les CRRMP. »
Aujourd’hui en effet, ces derniers sont si restrictifs, obsolètes pour certains, et leur création si lente et complexe, que les CRRMP se retrouvent saturées par des demandes de reconnaissance toujours plus nombreuses. Un dysfonctionnement souligné par la Cour des comptes qui épinglait « le manque de souplesse » du système et une « comitologie abondante qui ne favorise pas les évolutions nécessaires des tableaux de MP. »
La CFDT pense aussi que, doté d’un nouveau mandat, « ce groupe de travail pourrait fournir l’opportunité d’établir réellement un état des lieux des blocages du système actuel. Car aujourd’hui, pour un salarié, cela reste un parcours du combattant que de faire reconnaitre une pathologie en maladie professionnelle », déplore Catherine Pinchaut.
La DGT ne leur a pour l’heure pas donné de réponse ni de nouvelle échéance.