Le dégraissage des outils est l'une des tâches exposantes au trichloréthylène © AdobeStock
Le dégraissage des outils est l'une des tâches exposantes au trichloréthylène © AdobeStock

Le cancer du rein enfin reconnu en maladie professionnelle

par Clotilde de Gastines / 04 mai 2021

Elaboré il y a presque quatre ans, le tableau permettant d’établir l’origine professionnelle de cancers du rein liés à l’exposition au trichloréthylène va bientôt être publié au Journal officiel. Après une longue attente, injustifiée selon certains acteurs.

« Nous ne connaissons pas encore la date de parution, mais la procédure de recueil des contreseings a été engagée », confirmait la direction générale du Travail, jeudi dernier, à Santé & Travail. Le tableau n° 101, qui établit la reconnaissance en maladie professionnelle du cancer du rein pour les travailleurs ayant été exposés aux vapeurs de trichloréthylène, patiente donc dans les parapheurs ministériels. « L’enjeu est fort, car il existe très peu de tableaux de maladies professionnelles qui réparent les cancers », explique le Dr. Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail et représentant de la CGT à la commission spécialisée « Maladies professionnelles » (CS4) du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct). Il rappelle toutefois que le tableau n’a pas bougé d’une colonne depuis son élaboration par ladite commission… en juillet 2017.

Blocages

« Cela fait deux ans et demi que le tableau est coincé au ministère, sous la pression de groupes industriels », relate François Dosso de la CFDT Mineurs. Ce spécialiste de la reconnaissance des maladies professionnelles s’étonne de cet « attentisme incroyable », d’autant plus qu’il s’agit d’« un tableau-balai pour faciliter les démarches de reconnaissance des victimes après l’interdiction partielle du trichlo en 1995 ». Le trichloréthylène a été en effet interdit à la vente aux particuliers dans l’Union européenne en 1995. Il a néanmoins été utilisé par dérogation dans l’industrie. Une utilisation quasiment réduite à néant aujourd’hui mais, en 2003, 153 600 travailleurs étaient encore exposés à cet agent chimique et, en 2013, ils étaient encore 56 000 à l’être, selon les statistiques de l’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) du ministère du Travail.
A la suite des travaux de la CS4, le futur tableau n° 101 sera intitulé « Affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène ». Dans sa première colonne, celle de désignation des pathologies, il ne contient pourtant qu’une seule maladie : le cancer primitif du rein. Le trichloréthylène est en effet classé depuis 2012 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) comme cancérogène certain pour l'homme, concernant le rein. Un groupe de travail planche en ce moment, au sein de la CS4, sur la reconnaissance d’une autre affection cancéreuse liée à une exposition au trichloréthylène : le lymphome non hodgkinien.

Des durée et dates qui font débat

Dans la deuxième colonne, le délai de prise en charge – soit celui entre la fin de l’exposition et l’apparition de la maladie – est fixé à quarante ans, afin de prendre en compte le temps de latence nécessaire à l’apparition d’un cancer. La durée d’exposition minimale est, elle, fixée à dix ans. Ce qui est contesté. « Le trichloréthylène étant un agent cancérogène sans seuil, il est inapproprié d'exiger une durée d'exposition professionnelle », critique aujourd’hui le Dr Zylberberg. Lors de l’élaboration du tableau, le Medef et l’ensemble des délégations syndicales de salariés étaient pourtant d’accord sur cette durée. Sauf la CPME (ex-CGPME) qui proposait une durée de cinq ans.
Enfin, dans la dernière colonne, la liste limitative de travaux considérés comme exposant au trichloréthylène ne retient que le « dégraissage et nettoyage de l’outillage, des appareillages mécaniques ou électriques, de pièces métalliques, avant 1995 ». La CGT souhaitait de son côté inclure les travaux de synthèse et de stockage du trichloréthylène. La condition selon laquelle les salariés doivent avoir effectué ces travaux et avoir été exposés « avant 1995 » fait encore débat. Cette condition a été acceptée au départ par le Medef et les délégations syndicales de salariés, la CPME plaidant pour mentionner l’année 1990. Mais après relecture, la CGT a proposé de la modifier, en retenant l’année 2005. « Retenir comme fin de date d’exposition au trichloréthylène l’année 1995 nous paraît totalement en contradiction avec les réalités du monde professionnel », rappelle la CGT dans un récent communiqué, faisant référence aux nombreuses expositions identifiées par l’enquête Sumer.
En définitive, ce tableau permettra surtout de reconnaître l’origine professionnelle des pathologies de salariés soumis à de fortes expositions avant 1995. Mais il facilitera quand même la réparation pour les victimes exposées après cette date et/ou qui ne remplissent pas toutes les conditions du tableau, dans le cadre du système complémentaire.